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La lutte contre le tabac à l’épreuve du droit des marques

11 février 2018

La directive 2014/40/UE dite « directive anti-tabac » a pour objectif la mise en œuvre de la convention cadre pour la lutte anti-tabac de mai 2003 émanant de l’OMS, et harmoniser les règles relatives à la fabrication, à la présentation et à la vente des produits du tabac au sein de l’Union, en vue de « mettre l’accent sur la protection de la santé afin de réduire notamment la prévalence du tabagisme chez les jeunes ». Le champ des nouvelles mesures est large : interdiction des arômes,  réglementation des ingrédients, accroissement des messages d’avertissement, d’information et sanitaire, encadrement de la cigarette électronique…

L’article 13 de la directive prévoit l’interdiction de cinq types de messages sur les paquets, à savoir les éléments qui : 1/ contribuent à la promotion d’un produit du tabac ou incitant à sa consommation en donnant une impression erronée du produit, 2/ suggèrent une moindre nocivité du produit, 3/ évoquent un goût, une odeur ou un arôme, ou leur absence, 4/ ressemblent à un produit alimentaire ou cosmétique et 5/ suggèrent un bénéfice pour l’environnement. Les marques commerciales sont expressément visées et donc susceptibles d’être interdites.

La transposition en France de la directive anti-tabac

L’ordonnance de transposition n° 2016-623 du 19 mai 2016 a notamment créé un nouvel article L. 3512-21 dans le code de la santé publique portant sur les marques promotionnelles, qui n’a repris que deux des cinq catégories d’interdiction de la directive (à savoir les catégories 1 et 4), le reste étant renvoyé à un texte réglementaire chargé de déterminer « les principales catégories d’éléments ou dispositifs contribuant à la promotion d’un produit du tabac qui sont interdits » par l’article précédent. Ce qui a été fait par décret n° 2016-1117 du 14 août 2016 créant un nouvel article R. 3512-30 dans le code de la santé publique.

L’article 2 de l’ordonnance fixe le mécanisme de contrôle des marques promotionnelles par le biais de l’arrêté d’homologation des prix des produits du tabac prévu par l’article 572 du code général des impôts. Autrement dit, les marques promotionnelles ne seront plus homologuées, ce qui reviendra à en empêcher l’utilisation.

En application de ces textes, le ministère de la santé a fait savoir aux industriels du tabac que les références considérées comme promotionnelles seraient identifiés et déshomologuées à l’expiration d’un délai d’un an pour les cigarettes et de deux ans pour les cigares. Cette mesure a été mise en œuvre, dans une certaine précipitation, par l’arrêté d’homologation des prix du 1er février 2017. Ont notamment été déshomologuées les références « Vogue », « Fine », « Café Crème », etc, mais aussi de façon plus générale les références comportant certaines mentions (slim, bio, boost, etc).

Une politique enrayée par le droit des marques

Cette déshomologation revenait à priver le propriétaire de la possibilité d’utiliser sa marque, autrement dit à l’exproprier de fait pour des raisons de santé publique.

Saisi de plusieurs requêtes en excès de pouvoir, le Conseil d’Etat s’est prononcé par une décision n° 401536 du 10 mai 2017. Si une partie des griefs ont été écartées, la haute juridiction administrative a décidé d’annuler l’article 2 de l’ordonnance, au motif que « en ne définissant pas les modalités essentielles d’exercice de ce pouvoir et en ne prévoyant pas de régime transitoire applicable aux marques existantes, le Gouvernement n’a entouré d’aucune garantie le contrôle des marques et des dénominations commerciales qu’il a instauré ».  C’est donc l’absence d’encadrement par la loi du contrôle des marques promotionnelles qui a été sanctionné.

Allant plus loin, le Conseil s’est également interrogé sur la conformité des dispositions de la directive elle-même eu égard aux libertés fondamentales. Il a jugé qu’il existait une question sérieuse d’interprétation de la directive et a donc décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice, enregistrées sous le numéro C-288/17.

Les deux premières touchent aux marques promotionnelles et visent à déterminer si leur interdiction s’applique à toute marque, quelle que soit sa notoriété, et si cette interdiction respecte le droit de propriété, la liberté d’expression, la liberté d’entreprendre, et les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

C’est donc sur le principe même de l’interdiction de toutes les marques jugées promotionnelles que la Cour devra se prononcer.

Quelle compatibilité avec le paquet neutre ?

La troisième question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat à la CJUE ne porte pas sur les marques promotionnelles, mais sur le paquet neutre, à savoir à quelles conditions un Etat peut-il imposer le paquet neutre sans méconnaître les libertés fondamentales susmentionnées.

La directive anti-tabac ne comprenait pas de disposition relative au paquet neutre, mais son article 24 ouvrait la possibilité aux Etats de l’instaurer « lorsque cela est justifié pour des motifs de santé publique ». Cette possibilité a été invoquée par le gouvernement français qui a imposé la standardisation des paquets de cigarettes par décret n° 2016-334 du 21 mars 2016. Le nouvel article R. 3512-26 du code de la santé publique fixe ainsi une liste limitative de mention pouvant être apposées et qui inclut « le nom de la marque ».

Cette disposition de santé publique a des conséquences dans le domaine de la propriété intellectuelle puisqu’elle a pour effet d’interdire l’utilisation, sur les paquets de cigarettes, de toute marque qui ne soit pas purement verbale, c’est-à-dire les marques figuratives (logo ou dessin) et semi-figuratives (combinaison d’un dessin et d’un texte).

La conjugaison de l’interdiction des marques promotionnelles et du paquet neutre pourrait conduire à une situation dans laquelle un fabricant se verrait totalement privé d’individualiser son produit, comme le relève le Conseil : « dès lors que les unités de conditionnement sont uniformisées […] excluant notamment l’usage des marques figuratives et semi-figuratives, le fabricant qui ne peut plus, compte tenu des exigences découlant de l’article 13 de la directive, utiliser une marque nominative, ne peut individualiser son produit par d’autres signes distinctifs ».

Il se pourrait donc que le droit des marques oblige l’Etat français à remettre de l’ordre dans sa politique de lutte contre le tabagisme.

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