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BREVETABILITÉ DES SIMULATIONS NUMÉRIQUES À L’OEB

4 novembre 2021

APRÈS G 1/19, ATTENTION À NE PLUS LIRE TROP LARGEMENT LA JURISPRUDENCE ANTÉRIEURE

Le 10 mars 2021, la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB) a rendu sa décision tant attendue dans l’affaire G 1/19 concernant la brevetabilité des simulations numériques mises en œuvre par ordinateur.

La décision ne modifiera pas sensiblement la pratique de l’Office européen des brevets en ce qui concerne la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur en général. Toutefois, elle contient de nombreuses indications utiles pour les demandeurs désireux d’obtenir des brevets européens portant sur des simulations numériques mises en œuvre par ordinateur.

CONTEXTE

Les questions de droit auxquelles répond la décision G 1/19 se posent dans le cadre établi à l’OEB pour évaluer la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur (points 23-26, 28-34 de la décision).

Il faut rappeler que la Convention sur le brevet européen (CBE), ainsi que le droit français, fournissent une liste non exhaustive de choses et d’activités qui ne sont pas considérées comme des inventions, c’est-à-dire qui sont exclues de la protection par brevet. La jurisprudence constante de l’OEB a interprété cette liste comme une exigence générale de caractère technique. Ainsi, alors que la liste des « non-inventions » cite notamment les méthodes mathématiques, les programmes d’ordinateurs et les présentations d’informations, l’OEB considère que l’exclusion concerne en réalité les méthodes mathématiques non techniques, les programmes d’ordinateurs non techniques, les présentations d’informations non techniques, etc.

Dans ce cadre juridique, la nouveauté et l’activité inventive sont évaluées selon l’approche de la jurisprudence « COMVIK », maintenant bien établie. Selon cette approche, une analyse de la revendication caractéristique par caractéristique doit être effectuée pour déterminer si chaque caractéristique contribue à un effet technique. Les caractéristiques sans contribution à l’effet technique ne sont pas prises en compte dans l’examen de l’activité inventive.

Le contexte de la décision est limité à une « simulation en tant que telle ». La Grande Chambre a interprété cette expression comme désignant un « processus de simulation comprenant uniquement des entrées et des sorties numériques (indépendamment du fait que ces entrées/sorties numériques soient basées ou non sur des paramètres physiques), c’est-à-dire sans interaction avec la réalité physique externe ». Par conséquent, seules des « revendications ne comprenant pas d’étapes précédant la simulation ou suivant la simulation » définissent des simulations en tant que telles (point 53).

En d’autres termes, la décision se place exclusivement en dehors d’une situation — que l’on sait par ailleurs favorable à la brevetabilité — dans laquelle l’ordinateur produit des résultats qui influencent le fonctionnement d’un autre système, comme une machine, un réseau de communication, une interface graphique, etc. Au contraire, la question traitée par la Grande Chambre considère exclusivement le processus de simulation et son résultat.

CERTAINES SIMULATIONS EN TANT QUE TELLES PEUVENT ÊTRE BREVETABLES — MAIS PAS TOUTES

Comme nous l’avons souligné précédemment, l’expression « simulation en tant que telle » peut être comprise, selon les termes de la Grande Chambre, comme désignant « un processus de simulation comprenant uniquement des entrées et des sorties numériques ». En d’autres termes, une simulation en tant que telle ne fournit en sortie qu’un ensemble de valeurs numériques, voire même une seule valeur numérique.

Dans certaines décisions antérieures à G 1/19, une simulation en tant que telle a été considérée comme ayant un effet technique et donc comme étant inventive selon l’approche COMVIK.

Par exemple, dans l’affaire T 1227/05, il a été jugé que la simulation d’un circuit soumis à un bruit en 1/f constituait un objectif technique suffisamment défini pour une invention mise en œuvre par ordinateur « à condition que la méthode soit fonctionnellement limitée à cet objectif technique » et que, par conséquent, une telle simulation pouvait être considérée comme une caractéristique technique fonctionnelle (point 127).

De même, dans l’affaire T 625/11, l’invention était une méthode pour établir par un système informatique au moins une valeur limite pour au moins un paramètre opérationnel d’un réacteur nucléaire, laquelle méthode comprenait une étape de simulation et aboutissait à une ou plusieurs valeurs numériques pour une ou plusieurs valeurs limites pour, par exemple, la puissance globale P du réacteur. La Chambre de recours saisie de l’affaire a finalement suivi la décision T 1227/05 et a estimé que le calcul du paramètre opérationnel contribuait, en l’espèce, au caractère technique de l’invention, même si les revendications ne mentionnaient pas comment le paramètre opérationnel calculé était utilisé (points 129-130).

Cependant, plusieurs des raisons exposées par la Grande chambre dans la décision G 1/19 indiquent que la jurisprudence établie par les décisions T 1227/05 et T 625/11 ne devrait plus être interprétée de manière trop large.

En effet, la Grande Chambre indique que « des informations d’état ou des propriétés physiques obtenues par le calcul et concernant un objet physique sont […] de simples données qui peuvent être utilisées de nombreuses manières. Il peut exister des cas exceptionnels dans lesquels de telles informations ont une utilisation technique implicite qui peut servir de base à un effet technique implicite. Néanmoins, en général, les données relatives à un effet technique calculé ne sont que des données, qui peuvent être utilisées, par exemple, pour acquérir des connaissances scientifiques sur un système technique ou naturel, pour prendre des décisions éclairées sur des mesures de protection ou même pour obtenir un effet technique. La large portée d’une revendication concernant le calcul d’informations techniques sans limitation à des utilisations techniques spécifiques soulèverait donc couramment des préoccupations quant au principe selon lequel l’objet revendiqué doit être une invention technique sur la quasi-totalité de la portée des revendications (voir point E.I.b ci-dessus, se référant à la décision T 939/92) » (point 98). En conséquence, « il semblerait que la plupart des « simulations en tant que telles » puissent avoir peu d’effets techniques en ce qui concerne les entrées et les sorties (qui consistent en des données dans les « simulations en tant que telles ») » (point 115).

La Grande chambre a principalement mis l’accent sur deux types d’inventions concernant des simulations :

i) Lorsque la contribution technique se situe dans le domaine de l’informatique lui-même, par exemple dans des détails d’implémentation au niveau matériel ou logiciel (utilisation de la mémoire, vitesse de fonctionnement, par exemple), la Grande chambre indique que de telles améliorations apportées à une simulation peuvent contribuer à son caractère technique (points 115-116).

ii) Pour tous les autres cas, par exemple lorsque des outils et des méthodes de calcul existants sont utilisés pour produire une amélioration dans un autre domaine, l’aspect nouveau n’est généralement pas la façon dont la simulation est effectuée, mais ce qui est simulé. C’est là que la décision fournit davantage d’indications.

Tout d’abord, la décision établit une distinction claire entre le système simulé et la simulation elle-même. La simulation elle-même doit avoir un effet technique. Le fait qu’un système technique soit simulé ne remplit pas automatiquement cette exigence (points 120 et 141).

Pour ces inventions, la Grande chambre considère, en ce qui concerne les résultats de la simulation, que « si le processus revendiqué aboutit à un ensemble de valeurs numériques, c’est en fonction de l’utilisation ultérieure de ces données (cette utilisation pouvant résulter d’une intervention humaine ou être automatique dans le cadre d’un processus technique plus large) qu’un effet technique résultant peut être considéré dans cette évaluation. Si cette utilisation ultérieure n’est pas, au moins implicitement, spécifiée dans la revendication, elle ne sera pas prise en compte à cette fin » (point 124).

Ainsi, la Grande chambre limite bel et bien l’effet des décisions T 1227/05 et T 625/11 (examinées en détail aux points 127 à 133) : « Le critère souvent cité, tiré de la décision T 1227/05, selon lequel la simulation constitue un objectif technique bien défini pour une méthode de simulation numérique si elle est fonctionnellement limitée à cet objectif ne doit pas être considéré comme un critère généralement applicable de l’approche COMVIK pour les simulations mises en œuvre par ordinateur, puisque les conclusions de T 1227/05 étaient fondées sur des circonstances particulières qui ne s’appliquent pas en général. » (point 133).

À RETENIR POUR LES DEMANDEURS DE BREVETS

La position de la Grande Chambre de l’OEB conforte clairement l’approche COMVIK pour évaluer la brevetabilité des simulations numériques mises en œuvre par ordinateur, comme c’est déjà le cas pour toutes les autres inventions mises en œuvre par ordinateur.

Les demandeurs devraient veiller à ne plus interpréter de manière trop large la jurisprudence établie par des décisions telles que T 1227/05 ou T 625/11. Des revendications portant sur une simulation mise en œuvre par ordinateur ne seront pas considérées comme inventives simplement parce qu’elles sont limitées à la simulation d’un objet technique spécifique.

Un procédé qui consiste uniquement à effectuer une simulation, sans aucune autre étape antérieure ou postérieure, ne fournit en sortie qu’un ensemble de valeurs numériques. Des revendications visant de tels procédés seront probablement considérées comme dépourvues d’activité inventive, à moins que la seule utilisation ultérieure des valeurs numériques soit technique et soutienne un effet technique. En outre, l’effet technique allégué doit être obtenu sur la quasi-totalité de la portée de la revendication.

À cet égard, la décision fait une distinction entre les valeurs numériques qui ont un lien direct avec la réalité physique et les valeurs numériques qui n’en ont pas. Dans le premier cas, le caractère technique sera généralement reconnu. Par exemple, des revendications portant sur une méthode impliquant la prise de mesures physiques et la réalisation d’une simulation à l’aide de ces mesures ont beaucoup plus de chances d’être considérées comme brevetables (point 99) — à condition, bien entendu, que l’art antérieur n’antériorise pas ces revendications et ne les rende pas évidentes.

Pour le second cas, il sera intéressant d’observer comment la Chambre de recours à l’origine de la saisine utilisera la présente décision pour statuer sur l’affaire T 489/14, où les résultats de la simulation sont des trajectoires et des dimensions dans un bâtiment qui n’existe que sous la forme d’un modèle numérique, et non dans la réalité.

Pour toute information ou tout conseil supplémentaires, n’hésitez pas à contacter les soussignés :

Thomas LECONTE
Mandataire en brevets européens
thomas.leconte@abello-ip.com

Jean-Baptiste THIBAUD
Associé
Mandataire en brevets européens
jean-baptiste.thibaud@abello-ip.com

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