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Inventions et logiciels développés par des stagiaires dans le cadre de l’entreprise : les conséquences de l’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021

16 février 2022

Les créations réalisées en entreprise soulèvent généralement la question de la titularité des droits qui en résultent.

Le code de la propriété intellectuelle (CPI) pose comme principe général que le créateur jouit des droits de propriété incorporelle sur ses créations et que le droit au brevet sur une invention appartient à l’inventeur.

Toutefois, les articles L.113-9 et L.611-7 du code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI) posent des exceptions à ce principe lorsque la création ou l’invention a été réalisée dans le cadre de l’entreprise :

  • Le premier de ces textes attribue ab initio à l’employeur les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation, créés par ses employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de cet employeur ;
  • Le second prévoit également que la propriété de l’invention réalisée par un salarié, dans le cadre d’une invention de mission ou hors mission attribuable, revient à l’employeur, soit dès l’origine, soit par un mécanisme d’attribution des droits, en fonction des circonstances de sa
    réalisation.

L’application de ces dispositions a suscité des difficultés juridiques et pratiques, en ce qu’elles ne visaient que les créateurs « employés » et les inventeurs « salariés » ou « fonctionnaires ». Les stagiaires, quant à eux, échappaient donc à ce régime.

Ainsi, l’employeur désirant disposer de la propriété sur une invention ou un logiciel réalisé par une personne d’un statut autre que de salariat ou d’agent public devait se faire céder les droits par la voie contractuelle.

L’ordonnance du 15 décembre 2021, prise en application de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, et entrée en vigueur le lendemain de sa publication au JO, soit le 17 décembre 2021, apporte un changement à ce régime, en ce qui concerne les logiciels et inventions réalisés par une personne physique « accueillie dans le cadre d'une convention par une personne morale de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche ».

Deux nouvelles dispositions sont introduites dans le code de la propriété intellectuelle : les articles L.113-9-1 et L.611-7-1. Le régime de ces créations se rapproche de celui des logiciels et inventions réalisés par des salariés, sans toutefois les aligner totalement.

1. Les entreprises bénéficiant de la réforme

Les articles L.113-9-1 CPI et L.611-7-1 font, de la même façon, référence aux logiciels et inventions réalisés par une personne accueillie dans le cadre d'une convention par une « personne morale de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche ».

L’ordonnance ne définit pas la notion de « réalisation de la recherche ». Elle est donc potentiellement très large et susceptible de couvrir beaucoup d’entreprises, telles que les prestataires informatiques ou les entreprises industrielles qui font – même ponctuellement – de la recherche et développement. Il reviendra à la jurisprudence de délimiter la notion.

Le statut juridique de l’organisme d’accueil n’est pas non plus limité. Il peut s’agir d’une personne morale de droit privé ou de droit public. En revanche, sont exclues notamment les entreprises de fait dénuées de personnalité morale, les auto-entrepreneurs, les entreprises individuelles, etc.

2. Les créations visées

Comme l’indique son intitulé, cette ordonnance ne couvre pas l’ensemble du droit de la propriété intellectuelle. Seuls les logiciels et les inventions (brevetées ou non, dès lors qu’elles sont brevetables) sont concernés.

Les autres créations, comme les travaux valorisés, les dessins et modèles, le droit d’auteur (hors logiciel) ne sont pas concernées. La transmission des droits par contrat demeure donc la règle dans ces domaines.

Même chose en ce qui concerne l’architecture, la structure et l’agencement des bases de données, sauf lorsqu’elles constituent une œuvre collective. En ce qui concerne ces bases de données, rappelons que l’article L.341-1 CPI confère en revanche au producteur de la base de données un droit sui generis sur le contenu de celle-ci.

3. Les créateurs et inventeurs concernés

Le logiciel ou l’invention doit, d’une part, être créé par des personnes physiques qui ne sont pas liées par un contrat de travail et n’ont pas le statut d’agent public. Le Rapport au président de la République vise un certain nombre de personnes « notamment les stagiaires, les doctorants étrangers et les professeurs ou directeurs émérites ». Cette liste n’étant qu’indicative.

D’autre part, le créateur ou l’inventeur doit être accueilli dans le cadre d’une convention, celle-ci pouvant prendre la forme d’une convention de stage classique ou une convention d’apprentissage ou une convention d’accueil temporaire, d’hébergement, de détachement ou autre.

Les textes excluent une possible dévolution des droits à l’entreprise d’accueil dans l’hypothèse où le créateur ou inventeur serait en même temps salarié ou agent d’une entité de droit public ou privé, sauf convention contraire. Il sera donc prudent de prévoir par convention le sort des inventions et logiciels réalisés dans un tel cadre.

En ce qui concerne le créateur de logiciel, il est exigé qu’il soit placé sous l’autorité d’un responsable de la structure d’accueil. Pour une invention, un tel placement sous l’autorité d’un responsable n’est pas exigé par l’ordonnance. Il s’agit peut-être d’un oubli du législateur, car le Rapport au Président indique que «  pour entrer dans le champ de cet article L.611‐7‐1, ces personnels  » doivent être «  accueillis dans le cadre d'une convention, placés sous l'autorité d'un responsable au sein de la structure de recherche  ».

Ce texte ne parait pas avoir vocation à régir la propriété des logiciels et inventions réalisées par un mandataire social (non-salarié) de l’entreprise, car étant responsable de la structure, il parait difficilement concevable qu’il puisse être placé sous sa propre autorité.

4. Le régime applicable aux créations

Le régime diffère, selon que la création concernée est un logiciel ou une invention.

4.1 En matière de logiciels – Le nouvel article L.113-9-1 CPI prévoit que l’organisme d’accueil, est automatiquement titulaire des droits patrimoniaux sur le logiciel et sa documentation à la double condition que :

  • le créateur soit dans une situation, vis-à-vis de la structure, où il perçoit une « contrepartie » ; le Rapport au Président de la République souligne qu’elle peut-être financière et/ou matérielle ; la question de savoir si cette contrepartie pourrait être également intellectuelle, pédagogique, ou humaine reste ouverte : en effet il est courant dans les partenariats public- privé de tenir compte des apports respectifs des parties sur les plans financier, matériel et en ressources humaines, pour déterminer les quotes-parts de copropriété des droits de PI ;
  • il soit placé sous l’autorité d’un responsable de l’organisme d’accueil. Cette autorité se caractérise par le pouvoir du responsable à donner des ordres/instructions et éventuellement à sanctionner le créateur pendant la durée de l’accueil. Il pourrait ainsi s’agir d’un directeur de laboratoire ou d’un mandataire social.

La mise en œuvre de ce régime est facultative, le texte prévoyant qu’il s’applique « sauf stipulations contraires ».

En pratique, il sera recommandé de verser une gratification aux stagiaires, en mentionnant qu’elle comprend la contrepartie au sens de la loi, quelle que soit la durée du stage, afin de prévenir tout litige sur la dévolution des droits.

Le tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil est seul compétent pour trancher les litiges relatifs à l’application de cette disposition.

Aucun texte réglementaire n’est prévu pour fixer les conditions d’octroi de la contrepartie au titre du logiciel.

4.2 En matière d’invention – L’article L.611-7-1 CPI, très similaire à la disposition applicable en matière d’invention de salarié, prévoit un régime de dévolution en fonction de la nature des inventions réalisées.

Les inventions dites de « mission », c’est-à-dire celles réalisées par l’inventeur dans l’exécution d’une convention comportant une mission inventive qui correspond à ses missions effectives, ou d’études et recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent ab initio à l’organisme d’accueil. L’inventeur bénéficie d’une « contrepartie financière » (au lieu d’une « rémunération supplémentaire » pour les salariés et agents), dans des conditions qui devront être précisées par décret.

La loi ne précise pas si cette contrepartie intègre ou non la gratification obligatoire due par exemple aux stagiaires, au-delà d’une durée de 2 mois de stage. La question se posera de déterminer si une gratification supérieure à l’obligation légale sera nécessaire, mais pour prévenir tout litige, cela sera probablement recommandé.

Comme l’inventeur salarié ou agent public, l’inventeur bénéficie en outre d’un droit d’information lorsque la structure d’accueil effectue un dépôt de brevet portant sur l’invention. Si les entreprises ne mettent pas en œuvre des moyens pour informer les stagiaires auteurs d’invention, après leur départ de l’entreprise, un risque serait que le délai de prescription de l’action en paiement de la contrepartie financière pourrait ne pas commencer à courir.

Réciproquement, l’inventeur non-salarié a désormais l’obligation de déclarer son invention, avec toutes les informations nécessaires permettant son classement. Concrètement, les entreprises d’accueil devront intégrer cette nouvelle catégorie d’inventeurs dans leur processus de déclaration d’invention interne.

Enfin, le stagiaire/doctorant étranger/professeur aura désormais l’obligation légale de s’abstenir de toute divulgation de nature à compromettre un dépôt de brevet. Ce faisant, il restera prudent d’alerter ce dernier sur cette obligation, afin de ne pas risquer de compromettre la nouveauté de l’invention brevetée, en cas de divulgation intempestive.

Les autres inventions, dites « hors-mission » appartiennent à l’inventeur. Néanmoins, l’organisme d’accueil peut se faire attribuer la propriété ou la jouissance des droits attachés au brevet protégeant l’invention, lorsque celle-ci a été réalisée par la personne accueillie :

  • soit dans l’exécution de ses missions et activités ; contrairement aux inventions de salariés, l’invention ne devrait pas nécessairement avoir été exécutée pendant le temps de travail. En effet, la mention « dans le cours de l’exécution de ses fonctions » qui figure dans la disposition applicable en matière d’inventions de salariés n’a pas été reprise ;
  • soit dans le domaine des activités confiées par la personne morale ; contrairement aux inventions de salariés, l’invention devrait avoir été exécutée dans le domaine d’activités confiées à l’inventeur et non des activités de l’entreprise, ce qui est plus large ;
  • soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou des moyens spécifiques à cette dernière, ou de données procurées par elle.

L’attribution de la propriété ou de la jouissance des droits attachés au brevet est enfermée dans un délai déterminé. Elle doit intervenir « pendant la durée de l’accueil » ; cette durée sera souvent fixée par la convention qui lie les deux parties. Une difficulté d’interprétation pourrait surgir si l’invention est réalisée pendant la durée d’accueil, mais fait l’objet d’un dépôt de demande de brevet après : il faudrait sans doute prévoir une attribution des droits au brevet pendant la durée d’accueil, même si le brevet est déposé ultérieurement, voire n’est jamais déposé car protégé par le secret (pour les procédés de fabrication notamment).

En outre, l’inventeur doit en obtenir un juste prix.

La mise en œuvre de ce régime est également facultative, le texte précisant toutefois dans ce cas qu’il s’applique « à défaut de stipulation plus favorable » à l’inventeur. Autrement dit, il n’est possible d’y déroger que par une convention plus favorable à l’inventeur.

Il sera noté que le rapport au Président indique que ces dispositions « alignent le cadre d'une telle dévolution sur celui applicable aux salariés et agents publics et procurent, ce faisant, une sécurité juridique à l'ensemble des parties prenantes ». Or, nous avons vu que ces nouvelles dispositions ne sont pas exactement alignées avec le régime des inventions des salariés et agents publics, ce qui pourrait engendrer une certaine incertitude juridique.

Les litiges naissant à l’occasion de l’application de cette disposition devront être portés devant le tribunal judiciaire compétent en matière de brevet, à savoir le Tribunal Judiciaire de Paris ou la Commission nationale des inventions de salariés (CNIS).

Un décret en Conseil d’Etat est attendu, pour fixer les conditions d’octroi de la contrepartie financière au titre de l’invention de mission et les modalités d’attribution de la propriété ou la jouissance des inventions hors-mission. Il est probable que le régime sera très proche de celui existant actuellement pour les inventions de salariés aux articles R.611-11 et suivants CPI.

Il est vivement conseillé aux entreprises entrant dans le champ de cette réforme d’adapter les accords d’entreprises et/ou conventions qui les lient avec leur effectif d’un statut autre que de salarié et d’agent public.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à prendre contact avec notre équipe dédiée et à consulter notre site internet sur les Solutions prêtes à l’emploi développées par notre Cabinet ainsi que sur le Focus consacré aux litiges relatifs aux inventions de salariés.

Michel ABELLO
Managing Partner
michel.abello@abello-ip.com

Marie LIENS
Avocat associé
Directrice du Département
Contentieux
marie.liens@abello-ip.com

Mathilde JUNAGADE
Avocat
Département Contentieux
mathilde.junagade@abello-ip.com

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