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Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 – 1/3

22 novembre 2022

L’entrée en vigueur de l’Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) du 20 juin 20131 est suspendue à sa ratification par l’Allemagne (qui a déjà procédé à sa signature).

Le 5 décembre 2022, la JUB a annoncé2 qu’elle commencera à fonctionner le 1er juin 2023, soit deux mois plus tard que la date précédemment annoncée du 1er avril 2023. Ceci implique que la « sunrise period » commencera à compter du 1er mars 2023, et non du 1er janvier 2023.

L’Office européen des brevets (OEB), quant à lui, a annoncé3 que la date d’entrée en vigueur des mesures transitoires qu’il a mises en place pour le brevet unitaire reste fixée au 1er janvier 2023.

La mise en place de la JUB entraînera, à court ou moyen terme, une révolution majeure du contentieux des brevets en Europe et donc de la stratégie liée aux brevets européens.

L’entrée en vigueur de l’Accord entraînera aussi automatiquement celle du Règlement (UE) n°1257/2012 du 17 décembre 2012, créant le brevet dit unitaire4, conformément à son article 18.

En vue d’anticiper ces importants changements, nous allons y consacrer trois newsletters consécutives :

  • La première, à savoir celle-ci, est dédiée au brevet unitaire, 1/3
  • La deuxième portera sur l’opt-out (ou dérogation), en particulier pour explorer les stratégies à appliquer pendant la sunrise period du 1er mars au 31 mai 2023, 2/3
  • La troisième sera consacrée aux enjeux, notamment procéduraux, de la mise en place de la JUB, laquelle va entraîner des changements radicaux sur le plan contentieux, notamment eu égard aux délais de jugement (très courts), aux dommages et intérêts, aux injonctions, etc. 3/3

1) Qu’est-ce qu’un brevet unitaire ?

Comme la plupart d’entre vous le savent, le brevet européen n’est pas, contrairement à ce que son nom indique, un titre de portée européenne, à la différence des marques ou des dessins et modèles de l’UE. En effet, si la procédure d’examen (incluant l’opposition) est unifiée devant l’OEB, conformément à la Convention sur le Brevet Européen (CBE)5, le brevet européen doit ensuite faire l’objet d’une validation nationale dans chaque pays membre de la CBE dans lequel le breveté souhaite disposer de la protection et chacune des validations nationales constitue un titre distinct.

Ce système entraîne un certain nombre de conséquences, notamment financières et administratives (chaque validation nationale fait l’objet de taxes et de frais de représentation, et les annuités, une fois la procédure d’examen terminée, doivent être payées dans tous les Etats où l’on veut maintenir une validation) et procédurales (les actions en justice doivent être exercées devant des tribunaux nationaux et n’ont d’effet que pour le territoire de l’Etat en cause, chaque validation d’un même brevet européen peut faire l’objet de licences ou de cessions indépendantes).

Le brevet unitaire (à savoir le brevet européen à effet unitaire) a vocation à supprimer cette complexité, en créant un véritable titre unifié dans tous les Etats membres de l’UE participant à la coopération renforcée6, qui relèvera de la compétence exclusive d’une juridiction supranationale, à savoir la JUB.


1 L’accord est disponible sur ce lien officiel.
2 Le communiqué de la JUB est disponible sur ce lien officiel.
3 Le communiqué de l’OEB est disponible sur ce lien officiel.

4 Le règlement 1257/2012 est disponible sur ce lien. A noter que ce règlement est accompagné du règlement 1260/2012 concernant les modalités de traduction, disponible sur ce lien.
5 La CBE du 5 octobre 1973, incluant ses révisions, est disponible à partir de ce lien.
6 La coopération renforcée est un mécanisme par lequel un groupe minimum de neuf États membres de l’UE est autorisé à créer des instruments juridiques dans un domaine particulier au sein de l’UE, pour lui permettre de progresser plus vite dans ce domaine que les autres États membres, qui peuvent décider de rester en dehors ou de le rejoindre à un rythme différent.

Autrement dit, le brevet unitaire sera géré au niveau d’un seul office, l’OEB. Il n’y aura plus de formalités de validation et les annuités seront payables en une seule fois à l’OEB7. En outre, les décisions de justice vaudront pour le territoire de tous les Etats membres participants et non plus seulement sur le territoire d’un seul Etat. Par exemple, il suffira d’une seule décision pour statuer sur la validité du brevet unitaire sur l’ensemble des Etats participants, tandis que la contrefaçon pourra de la même façon être reconnue sur tout le territoire en cause. Au passage, il sera enfin possible d’obtenir une mesure d’interdiction transnationale, comme en matière de marque ou modèle européen8.

Il est important de souligner que le brevet unitaire et la JUB sont des mécanismes de l’Union européenne, ce qui n’est pas le cas du brevet européen, lequel regroupe 44 Etats membres, d’extension ou de validation, dont de nombreux Etats tiers à l’UE, comme la Suisse, la Turquie et le Royaume-Uni, à savoir :

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7 Le montant des annuités unitaires devrait correspondre au montant moyen des annuités pour un brevet européen classique validé dans 4 pays. Voir l’article 12.2.c) du règlement 1257/2012.
8 Il convient de préciser que certaines actions resteront de la compétence des juridictions nationales même pour un brevet unitaire, à savoir celles ne relevant pas de la compétence matérielle de la JUB : il s’agit notamment des actions relatives à un contrat (licence par exemple), la revendication de propriété ou les inventions de salariés. Dans ce cas, il faudra saisir la juridiction compétente selon le règlement Bruxelles 1bis.

Naturellement, le brevet unitaire ne pourra pas avoir d’effet dans les Etats qui sont membres de la CBE, mais pas de l’UE. Il n’aura pas non plus un effet unitaire dans les deux Etats membres de l’UE qui ne participent pas à la coopération renforcée ayant donné lieu au règlement 1257/2012 (à savoir la Croatie et l’Espagne) ni dans les huit autres qui participent à la coopération renforcée mais n’ont pas encore ratifié l’accord sur la JUB (à savoir la Pologne, Chypre, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, la Roumanie et la Slovaquie).

Dans tous ces pays, le brevet européen restera un brevet européen classique, sans effet unitaire, avec les conséquences habituelles (formalités de validation pays par pays avec traduction éventuelle, paiement des annuités au niveau national, compétence des tribunaux nationaux, etc.).

A la date de la présente newsletter, le brevet unitaire concernera donc 17 Etats membres de l’UE9 :

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9 Portugal, France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Italie, Allemagne, Danemark, Autriche, Slovénie, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Bulgarie et Malte.

Les 8 Etats qui participent déjà à la coopération renforcée rejoindront probablement le club des 17 dans un proche avenir, pour aboutir à un territoire unique de 25 Etats (et même l’Espagne pourrait décider de rejoindre la coopération renforcée à l’occasion de la Présidence Espagnole de l’UE au 2nd semestre 2023) :

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Toutefois l’étendue territoriale du brevet unitaire sera déterminée à la date de l’enregistrement à l’OEB de cet effet unitaire10. Autrement dit, il n’est pas prévu d’étendre l’effet unitaire d’un brevet déjà délivré à des Etats qui rejoindraient l’accord sur la JUB après ledit enregistrement.

2) Comment obtenir un brevet unitaire ?

Rien ne change dans les procédures de dépôt et d’examen des brevets européens par l’OEB. Le brevet unitaire, ou plutôt l’effet unitaire du brevet européen, se présente comme une nouvelle option, facultative, pouvant être activée pour tout brevet européen qui sera délivré postérieurement à la date d’entrée en vigueur (le 1er juin 2023, d’après les dernières annonces).

En pratique, la demande d’effet unitaire est une formalité simple, devant être accomplie par le déposant ou son mandataire dans un délai d’un mois11 à compter de la décision de délivrance du brevet européen. Il suffira de faire inscrire l’effet unitaire sur le Registre Européen des Brevets (la demande n’est pas assortie d’une taxe12).

L’article 6 du Règlement (UE) 1260/2012 prévoit une période transitoire de 6 ans (renouvelable pour deux ans) pendant laquelle la demande d’effet unitaire devra obligatoirement être assortie d’une traduction de l’intégralité du texte du brevet :

  • Soit en anglais, si le brevet est en français ou en allemand (cette traduction en anglais sera le plus souvent déjà à disposition, par exemple lorsque des brevets équivalents auront été demandés hors d’Europe),
  • Soit dans n’importe quelle autre langue officielle de l’UE, si le brevet est en anglais.

10 Article 18.2 deuxième paragraphe du règlement 1257/2012.
11 Article 9.1.g) du règlement 1257/2012 et Règle 6 du règlement d’application du 15 décembre 2015 relatif au règlement 1257/2012, disponible sur ce lien. A noter que l’effet unitaire peut faire l’objet d’un recours en restauration conformément à la règle 22 du règlement d’application.
12 Règle 5.II.5 du règlement d’application précité

L’objectif étant de parvenir à un système de traduction automatique fiable des textes de brevet dans toutes les langues officielles de l’UE à la fin de cette période transitoire.

Si les formalités de traduction sont donc nettement réduites par rapport à un brevet européen classique avec validation nationale13, il faut tout de même souligner qu’en cas de procès (donc devant la JUB), le breveté aura l’obligation de fournir à ses frais :

  • En cas de procès en contrefaçon, une traduction soit dans la langue de l’Etat où la contrefaçon alléguée a eu lieu soit dans celle de l’Etat où le contrefacteur est domicilié, au choix de ce dernier14,
  • Une traduction dans la langue officielle de la juridiction, à la demande de cette dernière15. En pratique ceci sera limité aux actions relevant de la compétence des divisions locales et régionales de la JUB16, dès lors que la langue de procédure de la division centrale sera celle du brevet17.

Il faut également mentionner deux autres mesures transitoires, à savoir :

  • La possibilité de demander un effet unitaire par anticipation, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur la JUB, à compter de la ratification de cet accord par l’Allemagne18.
  • La possibilité de solliciter un report de délivrance à la date d’entrée en vigueur de l’Accord sur la JUB pour les demandes de brevet européen en cours d’examen19. A nouveau, cette faculté sera ouverte à compter de la date de ratification de l’accord sur la JUB par l’Allemagne.

Le report doit être demandé à la suite de la notification selon la règle 71(3) de la CBE (notification du texte et des données bibliographiques) mais avant ou simultanément avec l’accord du demandeur sur le texte du brevet.

Ces deux possibilités seront ouvertes à compter du 1er janvier 2023 et jusqu’au 31 mai 202320.

En pratique, il sera intéressant de solliciter le report de la délivrance à la date d’entrée en vigueur de la JUB, afin de pouvoir disposer de suffisamment temps pour décider, au cas par cas, s’il est stratégiquement pertinent de solliciter un effet unitaire, ou de conserver la compétence concurrente des tribunaux nationaux et de la JUB, ou au contraire de faire un opt-out, pour échapper à la compétence de la JUB. C’est pourquoi, une demande anticipée d’effet unitaire ne devrait être envisagée qu’après avoir procédé à une étude d’opportunité et stratégique.


13 Pour rappel, malgré le protocole de Londres par lequel certains pays ont renoncé partiellement aux exigences de traduction, il reste souvent nécessaire de fournir une traduction dans la langue officielle au moins des revendications (Albanie, Croatie, Danemark, Finlande, Hongrie, Islande, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Pays-Bas, Norvège, Slovénie et Suède) voire de tout le brevet (Autriche, Bulgarie, Grèce, république Tchèque, Estonie, Espagne, Grèce, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Turquie). Détails disponibles sur ce lien. A noter que le protocole de Londres ne s’applique pas aux exigences de traduction en cas de litige.
14 Article 4.1 du règlement 1257/2012.
15 Article 4.2 du règlement 1260/2012.
16 Les articles 32 et 33 de l’accord sur la JUB déterminent la compétence des différentes divisions.
17 Article 49.6 de l’accord sur la JUB.
18 Communiqué de l’OEB du 22 décembre 2021 disponible sur ce lien.
19 Décision du président de l’OEB du 22 décembre 2021 disponible sur ce lien.
20 Communiqué de l’OEB du 6 décembre 2022 disponible sur ce lien.

3) Pourquoi demander un effet unitaire ?

Dès lors qu’il s’agit d’un choix optionnel, la question se pose pour tout déposant de faire usage ou non du brevet unitaire.

Les avantages attendus du brevet unitaire sont multiples :

  • Simplification administrative en supprimant les formalités (notamment de représentation) devant les offices de brevets nationaux, et donc les coûts correspondants qui s’élèvent typiquement à quelques centaines d’euros par pays.
  • Réduction des coûts de traduction, en supprimant les traductions du brevet européen exigées actuellement dans la langue nationale pour le texte complet (Italie, Portugal, Autriche) ou pour les revendications seulement (Pays-Bas, Suède, Danemark, etc.).
  • Réduction possible des coûts d’annuités : le coût de l’annuité forfaitaire est équivalent à environ 4 annuités nationales, pour une couverture territoriale égale à 17 pays.
  • Possibilité de bénéficier d’une double protection à l’aide d’un brevet national dans les Etats l’autorisant (à savoir France21, Allemagne, Danemark, Hongrie, Autriche, Estonie, Finlande et Suède22).

La carte ci-dessous synthétise la situation sur le double brevetage.


21 L’article L. 614-13 actuel du code de la propriété intellectuelle prévoit qu’un brevet français cesse de produire ses effets à compter de l’expiration de la période d’opposition sur un brevet européen couvrant la même invention : il s’agit de l’interdiction classique de double brevetage.
Le futur article modifié L. 614-13-II du code de la propriété intellectuelle, qui entrera en vigueur en même temps que la JUB, prévoit à l’inverse qu’un brevet français couvrant la même invention qu’un brevet européen « classique » continuera à produire ses effets, en l’absence d’opt-out.
De la même manière, l’article L. 614-16-3, applicable seulement aux brevets unitaires, permet également à un brevet français couvrant la même invention qu’un brevet unitaire de continuer à produire ses effets.
En France (et en Allemagne qui a les mêmes règles), le double brevetage est donc un bénéfice octroyé aux titulaires de brevets européens qui acceptent la compétence de la JUB.

22 D’après le questionnaire SC/3/22 Corr 1 publié par l’OEB le 21 mars 2022 disponible sur ce lien.
A noter que l’Estonie n’autorisera la double protection que pour le brevet à effet unitaire, à l’exclusion du brevet européen classique même en l’absence d’opt-out.
A l’inverse, le Danemark, la Hongrie, l’Autriche et la Suède autorisent la double protection pour un brevet européen classique même en cas d’opt-out.

Position des Etats participants à la coopération renforcée sur le double brevetage (cumul du brevet européen et brevet national)

Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 - 1/3
Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 - 1/3

A l’inverse, les désavantages principaux d’un brevet unitaire consistent (pendant la période transitoire de 7 ans23 d’entrée en vigueur de la JUB) en :

  • L’impossibilité de demander un opt-out (y compris pour les 10 autres Etats membres non encore participants, qui adhéreraient ultérieurement à la JUB, car un brevet européen ne peut faire l’un d’un opt-out que pour tous les pays24) et donc d’échapper à la compétence de la JUB, notamment à une attaque centrale en nullité au-delà la période d’opposition de 9 mois après la délivrance
  • La renonciation à la compétence concurrente entre les Tribunaux nationaux et la JUB. En effet, des petits litiges circonscrits à un seul pays pourraient être plus efficacement poursuivis devant un Tribunal national.

23 Selon l’article 83 AJUB, cette période transitoire est prolongeable jusqu’à 7 ans supplémentaires.
24 Article 44 de l’Accord sur la JUB et Règle 5(1)b) du règlement de procédure de la JUB.

L’opt-out et les enjeux liés au contentieux JUB seront explorés dans les deux prochaines newsletters consacrées au sujet.

4) Lien entre brevet unitaire et CCP

Le brevet unitaire étant un brevet qui a effet sur le territoire d’au moins un Etat membre, il peut constituer un brevet de base au sens de l’article 2 du Règlement (CE) n°469/2009 relatif aux Certificats Complémentaires de Protection (CCP) pour les médicaments. Il en va de même pour le Règlement (CE) n°1610/96 relatif aux produits phytopharmaceutiques.

Le CCP est d’ailleurs explicitement visé dans l’Accord sur la JUB25.

Cela étant, il n’est pas possible, à l’heure actuelle, d’obtenir un effet unitaire pour un CCP de la même manière que pour un brevet européen, faute de tout règlement en ce sens. La Commission européenne travaille actuellement sur un projet de CCP unitaire26 mais aucune proposition concrète n’a encore été formulée. Ceci signifie que les CCP seront toujours des titres nationaux délivrés par les offices de chaque Etat lors de l’entrée en vigueur du brevet unitaire et de la JUB.

Or, la JUB a bien compétence pour les CCP27 de la même manière que pour tout brevet européen.

Plus précisément, le CCP suit le sort du brevet de base : si celui-ci fait l’objet d’un opt-out, alors cet opt-out s’étend de jure à tous les CCP nationaux basés sur ce brevet28. A l’inverse, il n’est pas possible de faire un opt-out pour un CCP basé sur un brevet unitaire29 ou sur un brevet européen qui a déjà fait l’objet d’une action devant la JUB30. De même, il n’est pas possible de faire un opt-out limité au seul CCP, indépendamment du brevet de base (dans le cas par exemple où le brevet de base a déjà expiré à la date d’entrée en vigueur de l’Accord sur la JUB).

La situation des CCP est donc particulière :

  • Il s’agit de titres nationaux, délivrés et gérés par les offices nationaux. En cas de refus de délivrance, les juridictions des Etats membres resteront compétentes pour connaître d’un appel.
  • Mais ils sont soumis à la compétence de la JUB, sauf en cas d’opt-out du brevet de base, exclu en cas de brevet unitaire.

La question se pose si la portée territoriale d’un CCP basé sur un brevet unitaire pourrait différer de celle d’un CCP basé sur un brevet européen classique. Certains auteurs ont en effet invoqué l’article 30 de l’Accord sur la JUB31 ainsi que l’article 5 du règlement CCP32 pour soutenir qu’un CCP basé sur un brevet unitaire devrait aussi bénéficier d’une portée unitaire.


25 Voir notamment les articles 2h) et 30.
26 Elle a notamment émis un appel à contributions en mars 2022 disponible sur ce lien qui pourrait donner lieu à une proposition de règlement prochainement.
27 Article 3b) de l’Accord sur la JUB.
28 Règle 5.2 du règlement de procédure de la JUB disponible sur ce lien.
29 Règle 5.2 d) du règlement de procédure de la JUB
30 Règle 5.6 du règlement de procédure de la JUB, ensemble avec la règle 5.2 c).
31 « Un certificat complémentaire de protection confère les mêmes droits que ceux qui sont conférés par le brevet et est soumis aux mêmes limitations et aux mêmes obligations. »
32 « Sous réserve de l’article 4, le certificat confère les mêmes droits que ceux qui sont conférés par le brevet de base et est soumis aux mêmes limitations et aux mêmes obligations. »

Cette interprétation semble néanmoins difficilement compatible avec le statut de titre national du CCP. Au surplus, un CCP dépend par nature d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), qui peut être une AMM purement nationale. Un tel effet unitaire ferait courir un risque juridique important aux tiers, qui devraient alors vérifier l’existence de CCP nationaux dans tous les Etats membres de l’Accord sur la JUB, ainsi que potentiellement leur AMM nationale, lesquels peuvent être dans de nombreuses langues différentes. Il nous semble plus raisonnable de considérer, comme l’opinion majoritaire, qu’un CCP n’aura qu’un effet limité au territoire de l’Etat de délivrance, même lorsqu’il est basé sur un CCP unitaire.

Parmi les inconvénients d’un CCP basé sur un brevet unitaire, on peut relever :

  • Qu’il relève de la compétence exclusive de la JUB,
  • Qu’il ne peut faire l’objet d’un opt-out
  • Qu’une annulation d’un CCP national en raison de la nullité du brevet unitaire (ou du brevet européen sans opt-out) sur lequel il se base, est susceptible d’entrainer la nullité des autres CCP délivrés sur la même base dans les autres Etats participants à la JUB, par voie de conséquence, car une décision de nullité prononcée par la JUB s’étend au territoire de tous les Etats participants à la JUB33

Parmi les avantages d’un CCP basé sur un brevet unitaire (ou d’un brevet européen sans opt-out), on peut relever :

  • La possibilité d’agir devant la JUB sur la base de tous les CCP nationaux délivrés dans les Etats participants à la JUB simultanément (sous réserve que les propriétaires des CCP soient les mêmes).
  • La possibilité de baser le CCP national sur un brevet national et/ou le brevet unitaire, dans un certain nombre de pays participants

5) Les enjeux des stratégies de dépôt

Compte-tenu de son entrée en vigueur imminente, le brevet unitaire est une option à envisager d’ores et déjà pour toutes les demandes de brevets européens en instance.

En effet, plusieurs stratégies de protection sont envisageables à la fin de la procédure européenne :

Brevet européen sans effet unitaire (classique)Brevet européen avec effet unitaire Sans validations classiques dans les pays non participants à la JUBBrevet européen avec effet unitaire Avec validations classiques dans des pays non- participants à la JUB 34CCP nationaux basés sur un Brevet européen avec effet unitaire
RésuméRevient à continuer le système existant avec validations nationalesEffet unitaire sans validations nationales dans des pays non- participants à la JUBEffet unitaire + validations nationales classiques dans des pays non-participants à la JUBEffet unitaire + CCP nationaux classiques dans des pays participants à la JUB
AvantagesPendant la période transitoire de 7 ou 14 ans :
– Compétence concurrente des Tribunaux nationaux et JUB
– Opt-out possible35 (exclusion de la compétence de la JUB)
 
Maîtrise de la portée territoriale du brevet pays par pays
 
Possibilité de bénéficier de la double protection dans certains Etats (DK, HU, AT, FI, SE + FR & DE en l’absence d’opt-out)
Titre unique valable dans 17 pays

Possibilité de bénéficier de la double protection avec des brevets nationaux dans le plus grand nombre d’Etats participants (FR, DE, DK, HU, AT, EE, FI & SE)
 
Réduction des coûts et des formalités dans les pays participants
Titre unique valable dans 17 pays + titres individuels dans jusqu’à 27 pays supplémentaires

Possibilité de bénéficier de la double protection avec des brevets nationaux dans certains pays participants
 
Réduction des coûts et des formalités dans les pays participants
Possibilité d’agir devant la JUB sur la base de tous les CCP simultanément dans 17 pays

Possibilité de baser le CCP sur le brevet national et/ou le brevet unitaire dans certains pays participants
InconvénientsCoût et formalités plus élevés
 
Pas de double protection en FR & DE en cas d’opt-out
Opt-out impossibleOpt-out impossible pour tous les Etats membres participants actuels et futurs
 
Coût et formalités intermédiaires
Opt-out impossible pour tous les CCP basés sur le brevet unitaire

33 Article 34 de l’Accord sur la JUB.
34 Il faut relever que rien n‘est modifié quant aux coûts et aux formalités de validation dans les pays non-participants.
35 Sous réserve qu’aucune action devant la JUB n’ait déjà été engagée (article 83.3 AJUB). Le retrait de l’opt-out (ou opt-in) est possible sous réserve qu’aucune action devant un tribunal national n’ait déjà été engagée (article 83.4 AJUB).

A RETENIR :

– Le brevet unitaire est une option non taxée disponible pour toute demande de brevet européen, qui produira alors un effet unitaire dans les 17 Etats membres de l’UE ayant ratifié l’Accord sur la JUB (et prochainement jusqu’à 25 voire 27 Etats membres de l’UE)

– Il entrera en vigueur en même temps que l’Accord sur la JUB, soit le 1er juin 2023

– Dès le 1er janvier 2023, il sera possible de solliciter le report de la délivrance à la date d’entrée en vigueur de la JUB afin de disposer de temps pour décider, au cas par cas, de demander ou non l’effet unitaire.

– Les formalités du brevet unitaire seront simplifiées et les coûts réduits par rapport à un brevet européen classique.

– Le brevet unitaire sera soumis à la compétence exclusive d’une juridiction supranationale, la Juridiction Unifiée du Brevet, sans possibilité de solliciter un opt-out.

– Il sera possible de doubler la protection par des brevets nationaux, notamment en France et en Allemagne, pour vos brevets les plus importants, en cas de dépôt de brevet unitaire ou de brevet européen sans opt-out.

– Un CCP peut être basé sur un brevet national et/ou sur un brevet unitaire (ou un brevet européen non opt-out) dans les pays participants qui autorisent le double brevetage.

Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 - 1/3

GUILLAUME DUBOS
Associé – Avocat
Directeur Adjoint du département Contentieux
guillaume.dubos@abello-ip.com

Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 - 1/3

THOMAS LECONTE
Mandataire Européen en Brevets
thomas.leconte@abello-ip.com

Brevet Unitaire en Europe : démarrage prévu le 1er juin 2023 - 1/3

JEAN-BAPTISTE THIBAUD
Associé – Mandataire Européen en Brevets
Directeur du Département Brevets
jean-baptiste.thibaud@abello-ip.com

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