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La réforme du contentieux des marques et des decisions de l’INPI

27 juillet 2020

La loi dite PACTE a introduit de nombreux changements dans le domaine de la propriété industrielle en France, dont la plupart ont été traités dans nos précédentes newsletters de février, mars et mai 2020. 

Le dernier aspect de cette réforme, formalisé notamment dans l’ordonnance n°2019/1169 du 13 novembre 2019 et le décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019, consiste en la création devant l’INPI d’une procédure en nullité et déchéance de marque française et d’enregistrement international étendu en France. Ces nouvelles compétences de l’INPI (1), auxquelles s’ajoute un remaniement du régime des recours contre ses décisions (2), conduisent à repenser les stratégies contentieuses.


1. UNE NOUVELLE ACTION ADMINISTRATIVE EN NULLITE OU DECHEANCE DE MARQUE

Auparavant, 10 tribunaux judiciaires avaient une compétence exclusive pour connaître des demandes de nullité ou de déchéance de marques. Depuis le 1er avril 2020, une partie du contentieux relatif aux marques a été transféré de ces tribunaux vers l’INPI. Ces nouvelles procédures connaissent déjà un certain succès puisqu’à ce jour, l’INPI a été saisi d’une centaine de demandes. 

Répartition des compétences entre le Tribunal et l’INPI (art L.716-2 et L.716-5 du code de propriété intellectuelle) – On peut récapituler de la manière suivante la nouvelle répartition des compétences :

L’INPI est désormais seul compétent pour statuer sur :

Les demandes en déchéance de marque formées à titre principal, pour absence d’usage sérieux ou dégénérescence;

Les demandes en nullité formées à titre principal et exclusivement fondées sur :

– un ou plusieurs motifs absolus (défaut de distinctivité, caractère descriptif, usuel, trompeur, usage légalement interdit, dépôt de mauvaise foi…),

– et/ou l’atteinte à certains droits antérieurs : marque jouissant ou non d’une renommée, dénomination sociale, nom commercial, enseigne, nom de domaine et indication géographique, nom, image ou renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale, 
nom d’une entité publique, ou encore dans l’hypothèse où l’enregistrement a été demandé par l’agent ou le représentant du titulaire, en son propre nom et sans l’autorisation de celui-ci.

NB: une demande formée devant l’INPI peut être fondée sur plusieurs motifs de nullité ou de déchéance, mais les demandes en déchéance et nullité doivent faire l’objet de saisines distinctes. Par ailleurs, une demande ne peut viser qu’une seule marque.

Le tribunal judiciaire conserve sa compétence exclusive pour statuer sur : 

Les demandes en nullité fondées sur l’atteinte à certains droits antérieurs : droit d’auteur, de dessin et modèle, de la personnalité  Toutes les autres demandes relatives aux marques, par exemple en contrefaçon, en nullité ou en revendication de propriété pour dépôt frauduleux (mais uniquement, dans ce dernier cas, quand le dépôt a été effectué par un tiers et non par l’agent ou le représentant du titulaire de la marque).Les demandes principales ou reconventionnelles en nullité et déchéance connexes à une autre demande relevant de la compétence du tribunal judiciaire (ex : en contrefaçon, concurrence déloyale…). Les demandes en nullité ou déchéance formées alors que des mesures probatoires, provisoires ou conservatoires sont en cours d’exécution (ex : saisie-contrefaçon, interdiction provisoire).

A noter : le tribunal judiciaire ou l’INPI saisi d’une demande qui ne relève pas de sa compétence déclare celle-ci irrecevable d’office

En pratique…
 
On constate que le champ de compétence exclusive de l’INPI demeure limité et qu’il peut encore être recouru au juge en fonction des circonstances du litige.
 
Il conviendra donc de déterminer l’instance compétente en fonction des droits invoqués, des demandes sollicitées et des objectifs visés par le demandeur. Par exemple, le choix entre action judiciaire ou administrative pourra se faire en tenant compte du fait que la procédure devant l’INPI ne peut s’accompagner d’une demande de mesures provisoires et conservatoires, ni donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts, mais qu’elle s’annonce en revanche plus économique et rapide que devant le tribunal judiciaire (entre 5 et 11 mois selon le nombre d’échanges entre les parties, cf. infra). En contrepartie, les parties devront se montrer réactives, les délais prescrits pour présenter des observations devant l’INPI étant très brefs et non prorogeables.

Intérêt à agir (R.716-2) – Devant l’INPI, “toute personne physique ou morale” peut former une demande en déchéance, ou en nullité sur le fondement d’un motif absolu, sans avoir à justifier d’un intérêt à agir, alors qu’auparavant, devant les juridictions, les parties devaient justifier d’un tel intérêt, parfois apprécié strictement (les autres demandes, qu’elles soient formées devant l’INPI ou un juge, restent soumises à la justification un intérêt à agir).

En pratique…
 
Cette particularité va influencer les stratégies contentieuses. Elle constitue un atout pour les demandeurs, qui étaient jusqu’à présent soumis à l’interprétation fluctuante du juge en matière d’intérêt à agir en déchéance, ou en nullité sur le fondement d’un motif absolu. La sécurité juridique des titulaires de marques s’en trouve, en revanche, affaiblie : en effet, rien n’empêche désormais un opérateur d’attaquer la marque d’un concurrent, tout en restant sous couvert (par exemple en faisant former sa demande de nullité ou déchéance au nom d’un cabinet d’avocat).

Déroulement de la procédure devant l’INPI (R. 716-1, à R.716-8) – La demande en déchéance ou nullité, déposée via le portail électronique de l’INPI, est examinée dans un cadre temporel strict, composé de trois phases. Les parties peuvent en demander la suspension au cours des deux dernières phases, pour une durée pouvant aller jusqu’à 12 mois, afin de tenter de régler le litige à l’amiable.

– Examen de recevabilité

Durant cette première phase, l’INPI s’assure que la demande comporte l’ensemble des mentions et pièces requises, en particulier un exposé des moyens fondant chacune des prétentions (sauf dans les demandes en déchéance pour non usage, où les moyens ne sont pas obligatoires). A noter : une demande fondée sur plusieurs motifs est recevable dès lors que l’un d’eux permet de procéder à l’examen de la demande ; dans ce cas, toutefois, l’INPI ne se prononcera que sur le motif jugé recevable.

L’INPI profite également de cette phase pour mener des recherches afin de localiser le titulaire de la marque visée. En effet, il n’est pas rare, en particulier lorsque la marque visée est ancienne, que l’adresse du titulaire ne soit plus à jour sur le registre national des marques faute pour celui-ci d’avoir informé l’INPI de ses éventuels déménagements. Lorsque le titulaire ne peut pas être touché par lettre recommandée, il est informé de la demande visant sa marque par voie de publication au BOPI.

– Phase d’instruction

Cette phase contradictoire permet jusqu’à 3 échanges écrits entre les parties. A l’exception du premier délai de réponse accordé au titulaire de la marque contestée, qui est de 2 mois, les délais de réponse sont d’1 mois non prorogeable. Une audition publique peut être organisée à la fin de cette phase, à la demande des parties ou de l’INPI ; ce dernier peut y inviter les parties à y concentrer leurs observations sur certaines questions. Aucun moyen, ni nouvelle pièce, ne peut y être présenté.

– Phase de décision

A l’issue de cette dernière phase, d’une durée de 3 mois, l’INPI doit rendre sa décision, tant sur la recevabilité que sur le bien-fondé de la demande. Cette décision constitue un titre exécutoire. A défaut de décision expresse, la demande est « réputée rejetée » selon un mécanisme en vigueur depuis quelques années devant les administrations : si les parties souhaitent contester ce rejet devant la cour d’appel, elles devront alors au préalable demander à l’INPI de leur en communiquer les motifs par écrit.

Coût de la procédure et répartition des frais (art. L.716-1-1 et R.411-17) – La procédure devant l’INPI est soumise à une redevance de 600 euros, plus, dans le cas d’une demande en nullité pour atteinte à des droits antérieurs, 150 euros par droit supplémentaire invoqué. A la demande de la partie gagnante, l’INPI peut condamner la partie perdante à une somme forfaitaire au titre des frais de procédure, selon un barème fixé par arrêté (lequel n’est pas encore publié à ce jour). Si l’action n’est accueillie que partiellement, chaque partie supporte la charge de ses frais.

Moyens de défense (art. L.716-2-3 et L.716-2-4) – Autre nouveauté de cette réforme, les textes énumèrent les moyens de défense à une demande en nullité, pouvant être soulevés tant devant l’INPI que devant le tribunal. 

Sous peine d’irrecevabilité, le demandeur qui agit sur la base d’une atteinte à sa marque antérieure peut ainsi être astreint à fournir des preuves :
 de l’usage sérieux de sa marque enregistrée depuis plus de cinq ans (et ce, éventuellement sur deux périodes cumulées, voir notre Newsletter du 12 février 2020), 
 de son caractère distinctif acquis par l’usage à la date de dépôt de la marque postérieure, si le défendeur soulève qu’elle encourrait la nullité pour caractère non distinctif, descriptif ou usuel à la date de son propre dépôt; 
 de son caractère suffisamment distinctif pour justifier l’existence d’un risque de confusion avec la marque postérieure à la date de son dépôt;
 de sa renommée, lorsque la demande est fondée sur l’atteinte au caractère distinctif ou à la réputation d’une marque de renommée.

Devant l’INPI, le défendeur qui souhaiterait demander reconventionnellement la nullité ou la déchéance de la marque antérieure qui lui est opposée ne pourra le faire, mais en formant une nouvelle action. En revanche, celui qui souhaiterait répliquer en contestant la validité de la dénomination sociale, le nom commercial ou encore du nom de domaine qui lui est opposé, sur le terrain de la concurrence déloyale, devra saisir le tribunal puisque l’INPI n’est pas compétent pour se prononcer en ces matières.

En pratique…
 
Le demandeur à une action en nullité ou déchéance aura donc intérêt à préparer soigneusement celle-ci en amont de la saisine de l’INPI, d’autant plus que tous les droits antérieurs et moyens invoqués devront être précisés dans la demande initiale, le demandeur ayant ensuite la possibilité d’en réduire le fondement ou la portée, mais pas de l’élargir. Il sera aussi prudent d’anticiper les moyens qui seront soulevés en défense, en rassemblant au préalable des pièces au soutien de l’usage sérieux, de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, ou de la renommée de la marque. Ceci est d’autant plus important que, au-delà des moyens soulevés en défense, le titulaire de la marque attaquée pourra aisément répliquer en formant une demande en déchéance de la marque qui lui est opposée, par une simple formalité ne nécessitant pas même la fourniture de moyens.
 
Si la compétence du tribunal judiciaire est recherchée, il conviendra alors de former en plus de la demande de nullité ou de déchéance, des demandes relatives à la contrefaçon ou alors d’opposer en plus un droit antérieur relevant de sa compétence (droit d’auteur, dessins ou modèle, de la personnalité).

Articulation entre les procédures (art R.716-13 et R.716-14) – Une demande formée devant l’INPI ou une juridiction est irrecevable lorsqu’une décision a déjà été rendue entre les mêmes parties ayant la même qualité, portant sur le même objet et la même cause et n’est plus susceptible de recours :  de même qu’un jugement a autorité de la chose jugée, la décision rendue par l’INPI a autorité de la chose « décidée », selon la formule consacrée en matière d’actes administratifs.

En pratique…
 
Une telle irrecevabilité est toutefois théorique en matière de demande en déchéance. En effet, toute nouvelle demande en déchéance porte nécessairement sur un objet différent de la précédente, puisque la période de non-usage ou dégénérescence alléguée, qui est décomptée à partir de la date de la demande, diffère.

Une juridiction saisie d’une demande reconventionnelle en nullité ou en déchéance alors qu’une demande est en cours, entre les mêmes parties et pour les mêmes faits devant l’INPI, peut surseoir à statuer dans l’attente de la décision de ce dernier. La procédure administrative peut, quant à elle, être suspendue par l’INPI en cas d’action susceptible d’avoir une incidence sur la validité, le maintien ou la propriété du droit antérieur invoqué. Si la procédure est fondée sur plusieurs droits antérieurs et que seul l’un d’eux fait l’objet d’une telle demande, la procédure est alors suspendue dans son intégralité.


2. LA REFORME DES RECOURS CONTRE LES DECISIONS DE L’INPI

Si la décision d’un juge de première instance peut, traditionnellement, faire l’objet d’un appel, la décision de l’INPI est quant à elle susceptible d’un recours, devant la cour d’appel également, mais selon des modalités distinctes. Ce recours, bien que relevant par exception de la compétence du juge judiciaire, était jusqu’alors un recours administratif en annulation, sans effet dévolutif ni suspensif. 

Il présentait la particularité de ne relever des règles de la procédure civile que de manière marginale. Sa procédure faisait l’objet d’un encadrement minimal par le code de la propriété intellectuelle, ce qui avait généré une jurisprudence abondante, et parfois erratique, au sujet de son régime. Il était enfin soumis à des conditions de recevabilité strictes, notamment quant à certaines mentions obligatoires et non régularisables, dont il résultait un taux d’irrecevabilité très élevé.

Instauration d’un régime de recours dichotomique – Ce recours “traditionnel” en annulation subsiste contre les décisions de l’INPI statuant sur la délivrance, le rejet ou le maintien d’un titre de propriété industrielle – tout en étant remanié dans ses modalités. En revanche, le législateur a instauré un recours de plein contentieux d’un nouveau genre, contre les décisions de l’INPI en matière d’opposition de brevet ou d’annulation et déchéance de marque.

On peut résumer les principales caractéristiques de ce contentieux de la manière suivante :

Régime commun à tous les recours (art. R.411-20 à R.411-37)

– Les recours sont soumis au code de procédure civile et aux dispositions spéciales du code de la propriété intellectuelle (qui sont nombreuses).

– Les recours sont portés devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle le requérant a son domicile (ou devant la Cour d’appel de Paris pour les résidents étrangers).

– La représentation par avocat y est obligatoire.

– Les parties ont 1 mois pour former un recours à compter de la notification de la décision, augmenté d’1 ou 2 mois si elles demeurent en outre-mer ou à l’étranger. Attention : en cas de décision implicite de rejet (situation théorique, l’INPI ne rendant généralement pas de telle décision), les parties doivent demander la communication des motifs à l’INPI dans ce délai ; elles ont ensuite 2 mois pour saisir la cour à réception desdits motifs.

– Le recours est formé par voie électronique (idem pour les avis, avertissements et convocations subséquentes).

– Les mentions obligatoires du recours sont requises à peine de nullité, et non plus d’irrecevabilité prononcée d’office.

– Un recours incident, une intervention volontaire, ou forcée, sont désormais possibles.

– Les parties ont 3 mois pour présenter leurs conclusions, contenant « l’ensemble de leurs prétentions sur le fond » (auparavant, le requérant disposait d’un délai d’un mois pour produire des moyens, le délai imparti à l’appelé en cause était variable selon les cours d’appel).

– L’INPI n’est pas partie au recours, mais il peut y faire valoir ses observations.

– L’intervention du ministère public est facultative (elle était auparavant obligatoire).

– Les parties et le directeur de l’INPI peuvent former un pourvoi en cassation contre l’arrêt statuant sur le recours.

 

Régime propre aux recours contre les décisions statuant sur la nullité ou déchéance d’une marque, ou une opposition contre un brevet

– Ce recours a un effet suspensif.

– Il est également dévolutif : les parties peuvent présenter des moyens, pièces et preuves nouveaux, y compris sur la base d’un fondement juridique différent, du moment qu’ils viennent au soutien des mêmes prétentions que celles formées devant l’INPI, c’est à dire qu’ils « tendent aux mêmes fins »; elles peuvent aussi soumettre à la cour de nouvelles prétentions « pour faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

– La cour peut réformer la décision de l’INPI.

 

Régime propre aux recours contre une décisions statuant sur la délivrance, le rejet ou le maintien en vigueur d’un titre

-Le recours n’a pas d’effet suspensif ;

-Le recours est un recours pour excès de pouvoir : la cour ne peut que s’assurer que l’INPI n’a pas rendu une décision illégale. Il statue dans les mêmes conditions que lui, et ne peut donc examiner des moyens, pièces et preuves sur lesquels l’INPI n’a pas eu l’occasion de se prononcer ;

-La cour peut seulement annuler la décision de l’INPI, et renvoyer devant celui-ci, qui statue à nouveau.

 

En pratique…

Cette réforme élargit la marge de manœuvre des parties dans le cadre d’un recours contre une décision de l’INPI. La partie qui aura demandé devant l’INPI la nullité d’une marque pour caractère descriptif pourra soulever devant la cour d’appel un nouveau moyen au soutien de la nullité, tiré par exemple du caractère trompeur, ou d’une atteinte à sa marque antérieure. En revanche, elle ne pourra pas en demander la déchéance, qui constitue une prétention nouvelle.

Celle qui aura fait opposition contre un brevet devant l’INPI pour défaut de nouveauté pourra de même soulever devant la cour d’appel un défaut d’activité inventive ou tout autre motif de révocation, et produire de nouveaux documents, tels que de nouvelles antériorités. Le breveté pourra quant à lui soumettre à la cour de nouvelles requêtes subsidiaires.

On peut se demander si l’INPI, dont les observations devant la cour d’appel avaient jusqu’à maintenant pour objet de venir expliciter sa décision, présentera des observations sur les nouveaux moyens et pièces dont il n’aura pas eu à connaitre au cours de la phase administrative. Les textes ne le précisent pas.

Le caractère suspensif du recours sera, enfin, un aspect à prendre en considération dans l’élaboration de la stratégie contentieuse. En effet, dans les autres procédures judiciaires, le caractère non suspensif de l’appel contre une décision de première instance est récemment devenu la règle depuis la réforme de la justice. 

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