La réforme du système des brevets français
27 mai 2020Le 23 mai 2019 était publiée la loi relative au « Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises », dite PACTE, annonçant de profonds changements dans le système français de propriété industrielle1, qui ont depuis été précisés par plusieurs textes d’application. En matière de brevets, cette loi a introduit devant l’INPI l’examen de l’activité inventive (I), laquelle constitue, avec l’instauration d’une procédure d’opposition par l’ordonnance 2020-116 du 12 février 20202 (II), le volet essentiel de la réforme. Ces mesures complètent un décret du 8 janvier 2020 qui avait modifié le régime du certificat d’utilité (III) et créé la « demande de brevet provisoire » (IV).
L’objectif annoncé de ce paquet de mesures est de renforcer la qualité du brevet français. Qu’en est-il de sa substance ?
1. La réforme du droit des marques, concrétisée par l’ordonnance n° 2019-1169 et le décret 2019-1316 du 9 décembre 2019, a fait l’objet d’une présentation à l’occasion de nos deux précédentes newsletters.
2. Précisée par décret n° 2020-225 du 6 mars 2020
1. EXAMEN DE L’ACTIVITÉ INVENTIVE DES DEMANDES DE BREVETS
Ce qui change : jusqu’à présent, l’INPI ne pouvait refuser la délivrance d’un brevet que pour un motif d’exclusion ou d’exception à la brevetabilité ou d’absence manifeste de nouveauté. Seul le juge avait compétence, au stade contentieux, pour apprécier son défaut d’activité inventive. Or la loi Pacte autorise désormais l’INPI à rejeter une demande de brevet sur ce motif.
Ce changement s’appliquera aux demandes de brevet déposées à compter du 23 mai 2020, il sera donc mis en en œuvre concrètement à compter de 2021, si l’on tient compte des délais d’émission des rapports de recherche préliminaires.
En Pratique : il en résultera un examen des demandes de brevet plus complexe et à l’issue plus incertaine, alors que leur grande majorité aboutissait jusqu’à maintenant à une délivrance par l’INPI. En contrepartie, les brevets, une fois délivrés, devraient être moins exposés à une annulation3, surtout s’ils ont aussi passé l’épreuve de l’opposition (voir ci-après).
Cette évolution devrait aussi entrainer une convergence des pratiques d’examen de l’INPI vers celles de l’OEB et offrir ainsi une plus grande sécurité juridique aux titulaires. L’INPI semble d’ailleurs envisager d’apprécier l’activité inventive notamment selon l’approche « problème-solution » pratiquée par l’OEB depuis près de 40 ans, et qui a été adoptée par les Tribunaux français4.
Dans d’autres domaines également, tel que celui des méthodes intellectuelles et mathématiques, la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris semble se rallier depuis quelques mois à l’approche de l’OEB5. L’INPI pourrait rejoindre ce mouvement.
Toujours est-il que les déposants devront désormais évaluer l’opportunité de déposer une demande dont les chances de délivrance sont plus faibles, voire opter pour d’autres modes de protection tel que le certificat d’utilité, dont le régime est également modifié (voir ci-après). Dans tous les cas, les inventions dont l’activité inventive est douteuse auront tout intérêt à faire l’objet d’un dépôt de brevet avant le 23 mai.
L’autre effet attendu de cette réforme pourrait être une baisse de l’attrait du brevet français par rapport à celui du brevet européen, et une remise en question de la stratégie classique de premier dépôt en France, au profit d’un premier dépôt européen. Néanmoins, la taxe pour l’établissement du rapport de recherche préliminaire, d’un niveau très compétitif en France, reste inchangée6, de même que la qualité de ce dernier, que l’INPI continue de sous-traiter à l’OEB. Par ailleurs, en cas d’extension ultérieure au niveau européen, les déposants pourront continuer à bénéficier du remboursement de la taxe de recherche par l’OEB. L’ensemble de ces facteurs devrait permettre au brevet français de rester attractif, mais y’aura-t-il un intérêt à le maintenir jusqu’au stade de la délivrance ? La réponse dépendra notamment de la qualité de l’examen national, ainsi que de la durée de la procédure devant INPI et la Cour d’appel en comparaison de celle de l’OEB.
A RETENIR : faire une revue de son stock actuel de mémoires d’invention, en vue de décider si un brevet français doit être déposé avant le 23 mai 2020 (sans examen approfondi), ou après.
3. Selon une Etude statistique de Pierre Véron sur la période 2000-2009, 31% des brevets français étaient annulés par les tribunaux et seulement 21% des brevets européens.
4. Voir notamment TGI Paris 11 mars 2016 PIBD 1053 III 536
5. CA Paris, pôle 5-2, 22 novembre 2019, Bull ; pôle 5-1, 21 mai 2019, Thales, pourvoi pendant
6. 520€, ou 260€ pour les bénéficiaires des réductions des taux de redevance, au lieu de 1350€ pour un brevet européen direct
2. CREATION D’UNE PROCEDURE D’OPPOSITION DEVANT L’INPI
Ce qui change : alors que l’examen de l’activité inventive – déjà bien connu des tribunaux français – va profondément modifier la pratique de l’INPI en matière de délivrance des brevets, la réforme y ajoute la mise en place devant ce même Institut d’une procédure d’opposition, qui permet à tout tiers – sans justifier d’un intérêt à agir, – de remettre en cause la validité d’un brevet, dans les 9 mois après sa délivrance. Cette procédure s’applique à tout brevet délivré à compter du 1er avril 2020 (donc, y compris à des brevets qui n’auront pas fait l’objet d’un examen de l’activité inventive en amont).
Une opposition peut être fondée sur des motifs tirés d’un défaut de brevetabilité (exceptions à la brevetabilité, exclusions de la brevetabilité, absence de nouveauté ou d’activité inventive), d’une insuffisance de description ou de l’extension de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande. Elle est soumise à une redevance de 600€. Lorsque plusieurs oppositions sont formées contre un même brevet, elles sont jointes d’office.
Après un premier examen de recevabilité, l’instruction de l’opposition se déroule en 4 phases : une première « phase d’information » (qui débutera au plus tôt après l’expiration du délai de 9 mois) pendant laquelle le titulaire présente sa réponse à l’opposition, suivie de la notification par l’INPI dans les 3 mois d’un « avis d’instruction » (la validité du brevet n’y est examinée qu’au regard des arguments soulevés par l’opposant), à partir duquel se produisent encore un ou deux échanges entre les parties au cours d’une « phase de débat écrit », et, enfin, une éventuelle phase orale. L’INPI devra rendre sa décision dans un délai de 4 mois à l’issue de l’instruction.
Le cumul des délais de ces phases successives pourrait en théorie aboutir à une procédure d’opposition d’une durée de plus de 20 mois (le code de la propriété intellectuelle autorisant l’INPI à impartir aux parties des délais de 2 à 4 mois). L’INPI semble toutefois souhaiter privilégier un traitement plus rapide, d’environ 15 mois. Ces durées prévisionnelles sont proches de celles d’une action en nullité « sèche » devant les Tribunaux.
Si l’opposition est reconnue fondée en tout ou partie, l’INPI prononcera la « révocation » totale ou partielle du brevet (notion nouvelle en droit français de la propriété industrielle mais qui aura le même effet absolu et rétroactif que la « nullité »7) ou son « maintien sous une forme modifiée ». On peut supposer que la révocation partielle sera prononcée lorsque le breveté n’aura pas proposé en cours de procédure de modification acceptable de son brevet, et le maintien sous une forme modifiée lorsque l’INPI se contentera d’entériner des modifications proposées par celui-ci (à ce titre, le titulaire pourra déposer en cours de procédure plusieurs jeux de revendications modifiées correspondant à des requêtes principale et subsidiaires comme devant l’OEB, les modifications ne pouvant être acceptées que si elles répondent à un motif d’opposition). Suite à une révocation partielle, le titulaire du brevet devra soumettre à l’INPI un jeu de revendications modifiées ; son éventuel rejet par l’INPI pourra donner lieu à un recours devant la Cour d’appel/
Enfin, les textes prévoient que, par principe, chaque partie supporte les frais qu’elle a exposés. Mais l’INPI pourra également décider de les répartir différemment pour des raisons d’équité, dans la limite d’une barème préfix.
En pratique : Cette nouvelle procédure d’opposition (notamment sa phase orale) est directement inspirée de celle en vigueur à l’OEB, mais aussi des procédures inter partes traditionnelles se déroulant devant l’INPI.
Elle se distingue toutefois de l’opposition devant l’OEB sur plusieurs aspects majeurs :
– l’avis provisoire de l’INPI (« l’avis d’instruction ») sera notifié par celui-ci immédiatement après la première réponse du titulaire, alors qu’il est adressé par l’OEB en fin de procédure.
– en cas de révocation partielle, les revendications modifiées devront être soumises par le breveté (sans délai particulier) à l’appréciation de l’INPI à la suite de la procédure d’opposition, échappant ainsi à la contradiction de l’opposant ; il reviendra à celui-ci de se montrer particulièrement vigilant, quitte à former un recours contre la décision de l’INPI validant les revendications modifiées, si celles-ci ne traduisent pas de manière satisfaisante la portée de la décision d’opposition. Une limitation ultérieure du brevet ne sera possible qu’après publication du nouveau fascicule de brevet.
– Il ne sera pas possible pour un tiers poursuivi en contrefaçon d’intervenir à une opposition pendante.
– L’INPI n’aura pas le pouvoir de poursuivre d’office une opposition en cas de retrait de celle-ci.
– L’opposition sera suspendue notamment en cas d’action en nullité pendante au jour de sa formation, ou sur demande des parties jusqu’à 12 mois. Le juge saisi d’une demande en nullité alors qu’une opposition est en cours pourra quant à lui surseoir à statuer, sans toutefois y être tenu.
– Le recours contre la décision d’opposition ne s’exercera pas devant une chambre de recours interne à l’INPI comme à l’OEB ; il s’agira d’un recours en réformation devant la cour d’appel de Paris. Et ce recours sera avec effet dévolutif, ce qui permettra à l’opposant d’ajouter de nouveaux motifs d’opposition et de nouvelles antériorités (comme dans une action judiciaire en nullité).
Il conviendra désormais de définir la meilleure stratégie pour obtenir l’invalidation d’un brevet, entre une opposition et une action judiciaire en nullité. Il n’est pas certain que le coût sera très différent car aucune taxe ne doit être payée devant les Tribunaux. En revanche, la question sera limitée à celle de la validité, sans risquer de demande reconventionnelle en contrefaçon ou en concurrence déloyale. En outre, il sera possible d’agir devant l’INPI sans avoir à justifier d’un intérêt à agir, voire en ayant recours à un homme de paille, contrairement à une action judiciaire en nullité.
En toute hypothèse, cette réforme renforce davantage l’utilité d’une veille concurrentielle afin d’identifier les brevets délivrés à ses concurrents et de pouvoir, le cas échéant, les contester à temps par une procédure d’opposition qui est encadrée par une fenêtre de temps très limitée (9 mois). Le cabinet se tient à votre disposition pour toute question relative à la mise en place d’une telle veille.
7. cf. l’article L.613-23-6
3. MODIFICATIONS DU REGIME DU CERTIFICAT D’UTILITÉ
Ce qui change : le certificat d’utilité est une alternative traditionnelle au brevet, adaptée aux innovations de cycles de vie plus courts puisqu’il confère une moindre durée ; il présente l’avantage d’être peu coûteux et dispensé d’examen de brevetabilité et de rapport de recherche au stade de son dépôt, donc d’un accès plus simple. Il confère en principe la même protection qu’un brevet. Néanmoins, pour pouvoir ultérieurement agir en contrefaçon sur son fondement, son titulaire doit requérir de l’INPI un rapport de recherche, ce qui constitue un handicap de taille puisque la validité du certificat demeure soumise à un fort aléa jusqu’à ce stade. La loi Pacte apporte plusieurs changements dans le régime du certificat d’utilité.
D’une part, elle allonge sa durée de 6 à 10 ans (allongement applicable à tout certificat d’utilité ayant moins de 6 ans révolus le 10 janvier 2020).
D’autre part, alors qu’il n’était possible que de transformer une demande de brevet en demande de certificat d’utilité au cours de la procédure d’examen, l’inverse est désormais également possible. La demande de conversion devra être déposée dans un délai de 18 mois à compter de la date de dépôt ou de priorité de la demande et, en tout état de cause, avant l’achèvement des préparatifs techniques en vue de la publication. Il résulte de ce mécanisme que, à la différence d’une demande de brevet déposée en cette qualité dès le stade initial, une demande de brevet issue de la conversion d’une demande de certificat d’utilité ne sera souvent pas pourvue de son rapport de recherche préliminaire au stade de la publication. Son délai d’examen et de délivrance n’en sera que plus long.
En pratique : l’ensemble de ces modifications, mises en balance avec l’introduction de l’examen de l’activité inventive des demandes de brevets par l’INPI, pourra induire des ajustements dans les options de dépôt entre brevet et certificat d’utilité.
La stratégie de dépôt devra être définie en gardant à l’esprit que le certificat d’utilité n’est pas soumis à l’examen de l’activité inventive ni à la procédure d’opposition, contrairement à ce qui était envisagé pendant les travaux préparatoire de cette réforme. Une incertitude plus forte quant à sa validité perdurera donc jusqu’à ce que son titulaire décide de s’en prévaloir contre un tiers dans une action en contrefaçon, stade auquel il devra produire un rapport de recherche.
4. CREATION DE LA DEMANDE DE BREVET PROVISOIRE
Ce qui change : la demande de brevet provisoire est créée par le décret n° 2020-15 du 8 janvier 2020. Elle pourra être déposée à l’INPI en justifiant d’une requête en délivrance, une description, des dessins et du paiement de la taxe de dépôt dans le délai d’un mois, les revendications et le résumé étant facultatifs. Dans un délai de 12 mois à compter de son dépôt ou de sa date de priorité interne, son titulaire pourra la “mettre en conformité”, c’est à dire la transformer en demande de brevet ordinaire ou en demande de certificat d’utilité, en fournissant notamment les revendications et en acquittant la taxe de recherche. A défaut, la demande provisoire sera réputée retirée.
Ce mécanisme entrera en vigueur au 1er juillet 2020.
En pratique : par rapport à une demande de brevet ou à un certificat d’utilité, le seul intérêt de cette disposition réside dans la possibilité de différer davantage la remise de certaines pièces et notamment des revendications, puisqu’une demande de brevet classique ne nécessite pas non plus de revendications pour bénéficier d’une date de dépôt.
Toutefois, le déposant ne devra pas négliger la rédaction de sa description, puisque celle-ci ne pourra plus être modifiée ultérieurement et qu’elle aura une incidence majeure sur la teneur et la portée des revendications futures. En pratique, ceci conduit le plus souvent à devoir limiter l’objet revendiqué à la seule combinaison de caractéristiques décrites initialement, sans pouvoir utiliser de formulations plus génériques ou dissocier les caractéristiques essentielles de celles qui pourraient être optionnelles. Cet outil s’avère donc risqué, et ne devrait être envisagé que dans des cas exceptionnels, par exemple en cas de divulgation imminente sur un salon ou dans une publication scientifique. Ce faisant, une divulgation faite le jour même du dépôt ne lui étant pas opposable, une rédaction en urgence d’un brevet avec un jeu de revendications même sommaire reste une option à considérer.
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