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LA PROCEDURE DEVANT LA JUB : CARACTERISTIQUES ET ENJEUX POUR LES JUSTICIABLES – 3/3

Suite à la ratification par l’Allemagne de l’Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (AJUB)1 le 17 février dernier, il est désormais certain que la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) ouvrira ses portes le 1er juin 20232. Le contentieux des brevets en Europe est donc sur le point de connaître l’un des plus importants changements de son histoire.

Notre Newsletter n°2 sur la JUB traitait des implications stratégiques de l’« opt-out ». Nous avons vu que tous les brevets unitaires (BU3) et les brevets européens classiques (EP) sans opt-out seront soumis à la juridiction de la JUB. Il est désormais nécessaire de présenter ce à quoi devront s’attendre les justiciables engagés dans une procédure devant la JUB.

Nous présenterons les principales caractéristiques de la procédure JUB, et les différentes phases d’une procédure type jusqu’au jugement du Tribunal de première instance. Les actions possibles pour conserver les preuves de la contrefaçon ainsi que les actions provisoires pour faire cesser rapidement une menace de contrefaçon seront également abordées.

Focus sur quelques caractéristiques saillantes de la procédure JUB

  • Présentation de la JUB

La JUB est une nouvelle juridiction civile internationale et supranationale, et la première au monde entièrement dématérialisée, qui va modifier en profondeur le contentieux des brevets en Europe en le simplifiant et le centralisant. Elle permettra d’obtenir une décision valable sur le territoire de tous les États participants. Ainsi, pour les litiges où des actes de contrefaçon ont lieu dans plusieurs États, une action unique pourra être introduite devant la JUB (au lieu d’une action devant chaque juridiction nationale où la contrefaçon est reprochée) conduisant à l’obtention d’une seule décision ayant des effets dans les 17 États participants (et à long terme, dans tous les États membres de l’UE), et même au-delà dans tous les États désignés du brevet européen dans certaines circonstances.

Sur le plan de son organisation, la JUB comprend un seul Tribunal de première instance, une seule Cour d’appel et un greffe4. Le Tribunal de première instance est composé d’une division centrale dont le siège est à Paris, avec une section à Munich (et peut-être également à Milan), ainsi que de plusieurs divisions locales et régionales dans toute l’Europe5. La Cour d’appel a son siège à Luxembourg6.


1 L’Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (AJUB) est disponible sur ce lien. Il entrera en vigueur le 1er juin 2023.
2 Voir le communiqué : https://www.unified-patent-court.org/en/news/germany-ratifies-agreement-unified-patent-court.
3 Brevet européen à effet unitaire, désigné pour simplifier Brevet Unitaire (BU).
4 Article 6.1 AJUB.
5 Article 7 AJUB.
6 Article 9.5 AJUB.

La JUB a une composition multinationale et comprend à ce jour 85 juges au total : 34 juges qualifiés sur le plan juridique et 51 juges qualifiés sur le plan technique7. Les juges ont été choisis à l’issue d’un processus très sélectif, qui a permis de retenir des juges disposant du plus haut niveau de compétence et d’une expérience avérée dans le domaine du contentieux des brevets. Beaucoup exerceront au départ à temps partiel.

  • Une procédure conçue pour être rapide

Le Règlement de procédure de la JUB (RPJUB)8 prévoit que l’audience finale sur les questions de contrefaçon et de validité doit se tenir dans un délai d’un an9. Ce délai est compté à partir de la date de réception du mémoire en demande par le greffe de la JUB10.

Il s’agit d’une procédure préformatée comprenant les étapes suivantes :

LA PROCEDURE DEVANT LA JUB : CARACTERISTIQUES ET ENJEUX POUR LES JUSTICIABLES – 3/3

En vue de tenir ce calendrier, les délais au cours de la procédure écrite sont prédéterminés et très courts, généralement bien plus que les délais classiquement octroyés devant la plupart des juridictions nationales des États participants.

En effet, pour une action en contrefaçon de brevet, les échanges d’écritures durant la procédure écrite sont censés s’étaler sur une période de six à neuf mois comme suit11 :

LA PROCEDURE DEVANT LA JUB : CARACTERISTIQUES ET ENJEUX POUR LES JUSTICIABLES – 3/3

7 La liste des juges est disponible sur ce lien.
8 Le RPJUB est disponible sur ce lien.
9 Préambule du RPJUB, paragraphe 7.
10 Règle 17.4 RPJUB : « L’affaire est considérée engagée devant la Juridiction à compter de la date de réception attribuée au mémoire en demande ».
11 Règle 23, Règle 29 (a)(b)(c)(d) RPJUB.

Pour une action en nullité de brevet, les délais sont encore plus courts puisque le défendeur doit déposer son mémoire en défense dans un délai de deux mois à compter de la signification du mémoire en nullité. Le mémoire en défense peut inclure une demande reconventionnelle en contrefaçon12.

Après la procédure écrite, vient la procédure de mise en état, au cours de laquelle le juge rapporteur peut prendre diverses mesures qu’il juge nécessaires à l’affaire en vue de l’audience orale. Il peut par exemple demander aux parties de fournir des explications sur des points spécifiques, répondre à des questions spécifiques, produire des preuves et/ou des documents. La conférence de mise en état, si elle est ordonnée, permet au juge rapporteur de clarifier la position des parties, établir un calendrier, explorer avec les parties les possibilités de régler le litige amiablement, rendre des ordonnances relatives à la production de preuves, etc. C’est lui qui fixe la date de l’audience orale. La procédure de mise en état doit durer 3 mois13. La procédure orale consiste en une audience d’une journée14.

Cette procédure resserrée devant la JUB est un atout pour les brevetés, qui obtiendront une décision au fond plus rapidement que devant les juridictions nationales des États participants à la JUB. Par exemple, en France, il faut compter environ 1,5 à 2 ans avant d’avoir une première décision au fond pour une action en contrefaçon avec demande reconventionnelle en nullité (sans incident de procédure).

Il s’agira toutefois d’un nouveau défi pour les parties et leurs conseils, qui devront être très réactifs tout au long de la procédure. Les demandeurs, qui peuvent préparer leur dossier plusieurs mois avant l’engagement d’une action, devraient être moins affectés que les défendeurs, qui auront un temps limité pour préparer leur défense. Ils n’auront en effet que trois mois pour conduire une éventuelle recherche d’antériorités, trouver les moyens de nullité du ou des brevets opposés, et se défendre sur la contrefaçon. Toutefois, par pragmatisme, le RPJUB prévoit que les juges de la JUB pourront appliquer les règles de procédure « d’une manière souple et équilibrée »15 afin d’organiser la procédure « de la manière la plus efficace et économique qui soit »16. Cette flexibilité pourra prendre la forme de délais supplémentaires (même de manière rétroactive17) pour des actions complexes par exemple, ou encore d’un échange de mémoires supplémentaires18. Mais inversement, pour les actions simples, la Juridiction pourra décider de raccourcir les délais19. C’est l’expérience qui montrera dans quelle mesure les juges useront de cette souplesse dans les premières années de la JUB afin qu’elle conserve son attractivité.

À noter que devant la JUB, la détermination du montant des dommages et intérêts alloués à la partie ayant obtenu gain de cause pourra faire l’objet d’une procédure séparée après la décision au fond. De même, pourra être engagée une procédure séparée relative aux frais.


12 Règles 49, 51, 52 RPJUB.
13 Règle 101.3 RPJUB.
14 Règle 113 RPJUB.
15 Point 4 du préambule du RPJUB.
16 Point 4 du préambule du RPJUB.
17 Règle 9.3(a) RPJUB.
18 Règle 36 RPJUB.
19 Règle 9.3(b) RPJUB.

  • Une procédure nécessitant de « tout mettre sur la table dès le début »

Dans l’optique de tenir le délai d’un an, le RPJUB impose à chaque partie de présenter l’ensemble de ses arguments et preuves dès ses premières écritures (c’est-à-dire le mémoire en demande ou le premier mémoire en défense). Les parties et leurs conseils devront être très vigilants à ce sujet car la sanction est drastique : la Juridiction pourra ignorer les diligences, faits, preuves ou arguments qu’une partie n’aurait pas accomplis ou soumis dans un délai fixé par la JUB20. Pour toute modification des demandes ou modification de la nature de son affaire, une partie devra solliciter une demande d’autorisation préalable auprès du juge, en justifiant pourquoi cette modification ne pouvait pas être effectuée dès le départ (à l’exception d’une limitation inconditionnelle des demandes, qui sera toujours accordée)21. En pratique, cette exigence procédurale implique :

  • Pour le demandeur en contrefaçon, de présenter tous ses arguments de contrefaçon du brevet dès son premier mémoire avec toutes ses preuves, offres de preuves, et procédures devant être engagées aux fins de compléter les preuves. Stratégiquement, il sera donc préférable de faire procéder à toutes les mesures d’obtention de preuves avant l’engagement de l’action, bien que le juge-rapporteur puisse en ordonner pendant la conférence de mise en état22.
  • Pour le défendeur à une action en contrefaçon, de soulever tous ses arguments de non-contrefaçon ainsi que toutes ses attaques en nullité du brevet dès son premier mémoire en défense, ce qui implique que les recherches d’art antérieur devront être menées dans un laps de temps très court, et que toutes les antériorités devront être soulevées dès le début.
  • Les taxes de procédure devant la JUB : un nouveau paramètre à prendre en compte

La JUB étant censée s’autofinancer, des taxes de procédure sont à prévoir. Il s’agit d’une nouveauté de taille pour les justiciables, qui, dans certaines juridictions nationales comme la France, n’ont aucune taxe à verser avant d’engager une action en matière de brevets23.

Ces taxes comprennent un montant fixe et, pour certaines actions, un montant fondé sur la valeur du litige24. Dans sa décision du 8 juillet 2022, le comité administratif a fixé le montant des taxes25 pour les principales actions en matière de brevets :

  • Taxes fixes : 11.000 euros pour une action en contrefaçon, une action reconventionnelle en contrefaçon ou une demande de mesures provisoires. Pour une action en nullité, le montant est de 20.000 euros.
  • Taxes fondées sur la valeur du litige : elles ne concernent que certaines actions (en substance les actions en contrefaçon ou similaires, comme l’action déclaration en non-contrefaçon ou l’action en fixation des dommages et intérêts), et peuvent varier de 2.500 euros pour un litige dont la valeur est supérieure à 500.000 euros, à 325.000 euros pour un litige de plus de 50 millions d’euros. Les parties indiquent dans le mémoire en demande et en défense la valeur du litige, laquelle est ensuite fixée par le juge rapporteur lors de la conférence de mise en état. La présentation des critères pour déterminer la valeur du litige dépasse l’objet de cette newsletter, et les parties se reporteront, avec leurs conseils, aux directives du comité administratif de la JUB pour la déterminer.

20 Règle 9.2 RPJUB.
21 Règle 263 RPJUB.
22 Règle 103 (a) et Règle 104 (e) RPJUB.
23 En France, la seule exception (qui n’est pas propre aux brevets) est le timbre de 225€ applicable à toutes les procédures d’appel avec représentation obligatoire.
24 Article 36 AJUB.
25 Comité administratif – Tableau des frais de procédure – Décision du 8 juillet 2022 disponible sous ce lien.

Afin d’alléger ces taxes, le règlement de procédure prévoit une réduction de 40% pour les petites et micro-entreprises26. De plus, des remboursements partiels sont prévus en cas de retrait ou de transaction, dont le montant dépend de l’avancement de la procédure : 60% avant la clôture de la procédure écrite, 40% avant la clôture de la procédure de mise en état et 20% avant la clôture de la procédure orale27. Si l’affaire est entendue par un juge unique, un remboursement des taxes à hauteur de 25% est possible28.

À noter que ces remboursements peuvent être refusés « dans des cas exceptionnels » prenant en compte notamment le comportement de la partie29. À l’inverse, les remboursements peuvent être augmentés dans les mêmes circonstances, et aller jusqu’à 100% s’ils menacent l’existence économique d’une partie30.

  • Les frais de justice

De la même manière que ce que nous connaissons devant les juridictions françaises, les frais de justice (qui comprennent les frais d’avocats, frais d’experts, de témoins, etc.) de la partie gagnante seront en règle générale supportés par la partie perdante devant la JUB31. Nous notons toutefois deux nouveautés par rapport à la pratique française :

  • dans les cas où une partie n’obtient que partiellement gain de cause, la JUB pourra décider que les frais soient répartis équitablement entre défendeur et demandeur ou que chaque partie supporte ses propres frais.
  • après la décision au fond, et le cas échéant, une décision sur la détermination des dommages et intérêts, la partie ayant obtenu gain de cause pourra aussi obtenir une décision relative aux frais de justice par une procédure séparée32.

Le remboursement des frais de justice dans le cadre de cette décision sur les frais se fera dans la limite de plafonds fixés par le comité administratif, qui tiennent compte de la valeur du litige (laquelle devra donc aussi être déterminée pour une action en nullité)33. Sans entrer dans les détails, on retiendra qu’en fonction de la valeur du litige, les plafonds oscillent entre 38.000 euros et 2 millions d’euros. Par exception, dans des situations limitées, par exemple en cas d’affaires complexes ou lorsque plusieurs langues de procédure ont été utilisées, la JUB pourra, sur demande d’une partie, augmenter les plafonds de 50% (pour une valeur de litige jusqu’à 1 million d’euros) et de 25% (pour une valeur du litige comprise entre 1 million et 50 millions d’euros) et jusqu’à 5 millions d’euros pour les affaires dont la valeur du litige est de plus de 50 millions d’euros. La JUB pourra aussi baisser les plafonds applicables des frais à rembourser lorsque le remboursement de ces frais par la partie perdante menacerait son existence économique, en particulier si celle-ci est une PME, une ONG, une université, un organisme de recherche public ou une personne physique.


26 Règle 370.8 RPJUB.
27 Règle 370.9 (b) (c) RPJUB.
28 Règle 370.9 (a) RPJUB.
29 Règle 370.9 (e) RPJUB.
30 Règle 370.10 RPJUB.
31 Article 69.1 AJUB.
32 Règle 150 RPJUB.
33 Un projet de décision en ce sens (lien archivé) avait été élaboré par le comité préparatoire de la JUB, mais n’est pas encore finalisé à ce jour.

La preuve devant la JUB


L’AJUB définit des principes généraux en matière d’administration de la preuve et de présentation des faits. Les suivants doivent tout particulièrement retenir l’attention des justiciables et de leurs conseils :

  • La JUB basera ses décisions seulement sur les faits et preuves présentés par les parties ou introduits dans la procédure sur ordonnance de la Juridiction34.
  • Les représentants des parties devront faire preuve de loyauté dans l’administration de la preuve et la présentation des faits puisqu’ils ne devront pas dénaturer les points de droit ou des faits devant la JUB sciemment ou alors qu’ils avaient tout lieu d’en avoir connaissance35.
  • Si un fait allégué n’est pas spécifiquement contesté par une partie, il sera considéré comme constant entre les parties36. Il sera donc indispensable de contester chaque fait allégué par la partie adverse, sous peine de voir celui-ci considéré comme vrai par la JUB. Si une partie se fonde sur un fait contesté, elle devra donc produire des preuves au soutien de sa prétention37.
  • La charge de la preuve reposant sur la partie qui les invoque, une partie aura le droit de demander à la Juridiction d’ordonner à la partie adverse ou à un tiers de produire des preuves qui se trouvent sous leur contrôle38.

S’agissant des moyens de preuves, la JUB offre une palette d’outils très complète à la disposition des utilisateurs39 : audition des parties, demandes de renseignements, production de documents, audition de témoins, expertise, descente sur les lieux, tests comparatifs ou expériences, déclarations écrites faites sous la foi du serment. Certains de ces moyens de preuves sont nouveaux pour les praticiens français, comme l’audition de témoins et de parties, et pourront s’avérer intéressants à utiliser.

Les moyens de preuves disponibles sont variés et nombreux, probablement afin de permettre aux juges de différentes nationalités et sensibilités de conduire les procédures d’une manière similaire à leur pratique nationale. Il sera intéressant d’examiner dans quelle mesure les divisions centrale, locales et régionales de la JUB développeront une approche unifiée dans le recours à ces divers moyens de preuves, ou bien si des spécificités locales se développeront.


34 Article 76.2 AJUB.
35 Article 48.6 AJUB.
36 Règle 171.2 RPJUB.
37 Règle 172.1 RPJUB.
38 Article 59.1 AJUB.
39 Article 53 AJUB.

  • La saisie façon JUB : aussi attractive que la saisie contrefaçon à la française ?

En France, comme en Belgique et en Italie, la saisie-contrefaçon est à l’heure actuelle la procédure reine pour obtenir des preuves de la contrefaçon et la grande majorité des actions en contrefaçon débute par cette une mesure en raison de son efficacité et de son coût modéré, alors qu’elle est peu utilisée en Allemagne ou aux Pays-Bas. En sera-t-il de même avec la JUB ?

L’équivalent de la saisie-contrefaçon (ou ordonnance de conservation des preuves) est prévue à l’article 60 de l’AJUB, qui dispose que la Juridiction peut, avant même l’engagement d’une action au fond, ordonner des mesures provisoires et rapides pour conserver des éléments de preuve relatifs à la contrefaçon alléguée. Ces mesures peuvent inclure la description détaillée (avec ou sans prélèvement d’échantillons) ou la saisie matérielle des produits litigieux. Pour être valable, la saisie JUB devra être suivie d’une action au fond engagée dans un délai de 31 jours civils ou 20 jours ouvrables (comme c’est le cas avec la procédure de saisie-contrefaçon que nous connaissons en France).

Si des similitudes existent, la saisie devant la JUB est toutefois différente de la saisie-contrefaçon française. Sans entrer dans tous les détails d’une comparaison entre les deux types de saisie et de leurs avantages et inconvénients respectifs (qui pourront faire l’objet d’un avis spécifique de vos conseils), il convient de relever que :

  • La saisie JUB a une portée territoriale très large puisqu’une mesure de saisie pourra être exécutée dans plusieurs États participants à la JUB, ce qui en fait un moyen de preuve intéressant pour les litiges où les actes de contrefaçon se produisent sur le territoire de plusieurs États.
  • La saisie JUB est par principe contradictoire : si le demandeur veut que la saisie soit ordonnée sans que l’autre partie (le défendeur) en soit informée, il devra exposer les motifs pour qu’elle ne soit pas entendue40 (en indiquant par exemple qu’un retard causerait un préjudice irréparable, un risque de destruction ou dissimulation des preuves, la nécessité de recourir à l’effet de surprise etc.). Toutefois, même si le demandeur a demandé à ce que le défendeur ne soit pas entendu, la JUB pourra décider de l’informer de la demande de saisie et l’inviter à déposer une opposition à cette demande41. Heureusement pour le demandeur, si la JUB décide d’informer le défendeur, elle devra auparavant donner au demandeur la possibilité de retirer sa demande, qui pourra alors demeurer confidentielle.
  • La saisie JUB « donne la parole au défendeur » avec le système du « mémoire préventif », qui constitue un changement majeur par rapport à la saisie que nous connaissons. Prévu à la Règle 207 du règlement de procédure, ce système permet à un défendeur potentiel à toutes mesures provisoires (donc à une saisie) de déposer un mémoire préventif au greffe dans lequel il expose les raisons pour lesquelles la mesure ne devrait pas être ordonnée. À la différence d’une demande d’interdiction provisoire, il est à notre avis peu probable qu’un mémoire préventif constituera un facteur déterminant, dans la mesure où la saisie est une mesure probatoire. Il pourrait néanmoins influer sur l’étendue des mesures que le juge sera amené à accorder, et surtout à favoriser le recours à des mesures de protection du secret des affaires.
  • Le rapport de saisie JUB est limité à la JUB : à la différence de la saisie française, dans laquelle le procès-verbal peut être utilisé dans toutes procédures, y compris à l’étranger, le rapport de la saisie JUB ne pourra être utilisé que dans le cadre d’une procédure JUB au fond42, sauf précision contraire de la Juridiction.

En résumé, si elle présente des avantages quant à sa portée territoriale, la saisie JUB est moins aisée à mettre en œuvre pour les brevetés que la saisie-contrefaçon française. Seul le temps permettra de dire si ce moyen de preuve sera vraiment utilisé par les parties, et si certaines divisions seront plus enclines à renforcer son efficacité en y faisant droit ex parte.


40 Règle 192.3 RPJUB.
41 Règle 194.1 RPJUB.
42 Règle 196.2 RPJUB.

Les mesures d’injonctions provisoires


Pour les situations où la contrefaçon doit être stoppée rapidement (et bien avant que n’intervienne une décision au fond dans un délai d’une année) il sera possible de solliciter des mesures d’injonctions à l’encontre d’un contrefacteur supposé.

Les injonctions visent à43 :

  • prévenir toute contrefaçon imminente,
  • interdire provisoirement la poursuite de la contrefaçon présumée,
  • subordonner la poursuite de la contrefaçon présumée à la constitution de garanties visant à assurer l’indemnisation du breveté.

La JUB pourra ordonner une mesure d’interdiction provisoire à l’encontre du défendeur, la saisie ou la remise des produits soupçonnés de contrefaçon pour empêcher leur circulation, la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du défendeur, y compris le blocage de ses comptes bancaires, ainsi qu’une provision44.

La demande de mesures provisoires devra être motivée et très détaillée. Le demandeur devra exposer les mesures sollicitées, les motifs pour lesquels des mesures provisoires sont nécessaires pour empêcher une menace de contrefaçon ou la poursuite de la contrefaçon alléguée45 et pourquoi son intérêt à obtenir ces mesures doit prévaloir sur les intérêts du défendeur46. Il devra aussi apporter des preuves suffisantes pour convaincre le juge qu’il est titulaire d’un brevet valable et que le brevet est contrefait ou susceptible de l’être47.

En cas de demande présentée de manière non-contradictoire, les motifs pour lesquels le défendeur ne doit pas être entendu doivent être expliqués (comme pour la saisie-contrefaçon). Un devoir de loyauté élevé du demandeur est attendu par la JUB : le demandeur a le devoir de divulguer tout fait important dont il a connaissance qui pourrait influencer la JUB dans sa décision de rendre une ordonnance sans entendre le défendeur ainsi que toute procédure pendante ou tentative infructueuse dans le passé d’obtenir des mesures provisoires sur la base du même brevet48.

Il faut aussi relever que, comme pour la saisie, même si le demandeur a demandé que le défendeur ne soit pas entendu, la JUB pourra décider de l’informer de la demande de mesures provisoires et l’inviter à former une opposition à la demande, convoquer les parties à une audience (avec le défendeur ou le requérant seul)49. Seulement dans les cas d’extrême urgence, la JUB pourra immédiatement statuer sur la demande.


43 Article 62.1 AJUB.
44 Règle 211.1 RPJUB.
45 Règle 206 RPJUB.
46 Règle 211.3 RPJUB.
47 Règle 211.2 RPJUB.
48 Règle 206.4 RPJUB.
49 Règle 209.1 RPJUB.

Pour statuer sur la demande de mesures provisoires, la JUB examinera en particulier :

  • la validité apparente du brevet, c’est-à-dire s’il a été maintenu au terme d’une procédure d’opposition ou s’il a fait l’objet d’une procédure devant toute autre juridiction ;
  • l’urgence de l’affaire ;
  • si le défendeur a été entendu ;
  • si un mémoire préventif a été déposé. Nous avons vu ci-dessus que toute personne estimant probable qu’une demande de mesures provisoires soit formée prochainement à son encontre peut déposer un tel mémoire50, qui aura probablement un intérêt bien plus important en matière d’interdiction provisoire.

Il faut aussi retenir que la JUB pourra décider de convoquer les parties à une audience orale. La décision pourra être rendue oralement aux parties à la fin de l’audience, ou bien par écrit dès que possible après la clôture de l’audience51. Si une action au fond n’est pas engagée dans un délai de 31 jours civils ou 20 jours ouvrables à partir de la date fixée par la JUB dans son ordonnance, le défendeur pourra demander la rétractation des mesures provisoires52.

Pour plus d’informations sur vos options stratégiques en matière de procédure devant la JUB, nous vous invitons à contacter nos équipes.


50 Règle 207 RPJUB.
51 Règle 210 RPJUB.
52 Règle 213 RPJUB.

LA PROCEDURE DEVANT LA JUB : CARACTERISTIQUES ET ENJEUX POUR LES JUSTICIABLES – 3/3

STÉPHANIE ROLLIN DE CHAMBONAS
Avocat
stephanie.rollindechambonas@abello-ip.com

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GUILLAUME DUBOS
Associé – Avocat
Directeur Adjoint du département Contentieux
guillaume.dubos@abello-ip.com

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THOMAS LECONTE
Mandataire Européen en Brevets
thomas.leconte@abello-ip.com

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